Olivier Père

Les Misérables de Raymond Bernard

 

« … Tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des œuvres de la nature de celle-ci pourront ne pas être inutiles… »

Victor Hugo, cité en exergue des Misérables de Raymond Bernard

 

A la Filmothèque du Quartier Latin on peut voir depuis la semaine dernière Les Misérables (1933) de Raymond Bernard pour la première fois en version numérique restaurée. Programmation futée et opportuniste qui permet de découvrir un chef-d’œuvre du cinéma français en antidote à la récente version américaine et chantée (qu’on a pas vu, mais dont la bande-annonce seule fait saigner des yeux et des oreilles) et aussi des autres adaptations cinématographiques du roman de Victor Hugo, toutes médiocres (à l’exception de celle de Riccardo Freda, en 1947.)

Cette restauration du négatif nitrate en 4K a été effectuée par la Cinémathèque de Bologne et Pathé. Il s’agit de la version la plus complète du film qui a déjà été montré aux Etats-Unis l’année dernière mais que l’on peut désormais découvrir à Paris. Peu avant sa mort en 1977 Raymond Bernard avait tenté de remonter le film dans sa version intégrale mais sans parvenir à retrouver la scène dite « du voleur », du premier film. Criterion distribue le film en DVD dans une version de 279 minutes alors que la version restaurée, qui réintègre la scène du voleur, est annoncée à 290 minutes. C’est dans la version Criterion que nous avons vu Les Misérables.

Le film de Raymond Bernard est magnifique car il échappe à la grandiloquence par un mélange de sobriété et de lyrisme qui convient parfaitement à la puissance humaniste et mélodramatique de l’histoire imaginée par Victor Hugo. Le film impressionne aussi par son ambition et ses proportions, inhabituelles dans le cinéma français : pas moins de trois longs métrages, exploités séparément mais simultanément, forment l’ensemble des Misérables : Une tempête sous un crâne, Les Thénardier et Liberté, liberté chérie. Ce qui en fait la plus longues des adaptations hugoliennes mais aussi la plus fidèle. C’est le chef-d’œuvre de Raymond Bernard (fils du dramaturge Tristan Bernard, qui signa ses meilleurs films dans les années 30) avec une autre adaptation littéraire puissante et inspirée, Les Croix de bois (1931), l’un des meilleurs films jamais réalisés sur la Première Guerre mondiale, d’après Dorgelès.

Si le film est si réussi, c’est aussi et surtout grâce à son interprétation, excellente dans sa globalité et parfois admirable. Tout le monde est d’accord pour considérer Harry Baur et Charles Vanel indépassables dans les rôles respectifs de Jean Valjean et Javert. Une nouvelle occasion de saluer le génie dramatique d’Harry Baur, acteur à l’imposante stature qui domina le cinéma français des années 30 et qui semblait être né pour incarner l’ancien galérien. Harry Baur poursuivit sa carrière pendant l’Occupation et fut arrêté par la Gestapo qui le soupçonnait d’être Juif. Emprisonné pendant quatre mois, il ne se remit jamais des tortures subies et décéda le 8 avril 1943, six mois après sa libération. Malgré sa célébrité il sombra dans l’oubli, un oubli bien commode qui permit d’occulter longtemps la honte et le scandale de son assassinat.

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