Olivier Père

Les Félins de René Clément

Pour rendre hommage à Alain Delon, disparu le 18 août 2024, ARTE bouleverse sa programmation et diffuse lundi deux films et un documentaire, puis un troisième film et un autre documentaire mercredi après-midi.

 

On retrouve l’énergie et l’agilité propres au Delon des années 60 dans Les Félins, le troisième film que l’acteur tourne avec René Clément, en 1964. Avec Les Félins, Clément souhaite renouer avec la perversité de Plein Soleil, en abordant une nouvelle fois les thèmes du double masculin et de la substitution.

Il s’agit, dans le cas des Félins, de l’histoire d’un homme prisonnier de lui-même, enfermé dans une situation qu’il a en partie créée, et dont il devient la victime plus ou moins consentante. Un argument de série noire, très librement adapté d’un roman américain, débouche sur une métaphysique de l’action et de la condition humaine. Dans un monde où le cynisme est devenu la norme, le dominateur tombe dans un piège, le soumis se révèle manipulateur.

Alain Delon y interprète Marc, un homme-gamin, escroc et gigolo entraîné dans une perpétuelle fuite en avant. Poursuivi par des tueurs à gages sur la Côte d’Azur, il est recueilli par Barbara (Lola Albright) une riche Américaine qui l’engage comme chauffeur. Débute un jeu de séduction entre l’incorrigible voyou, sa nouvelle patronne et la sœur cadette de cette dernière, Melinda (Jane Fonda). Marc se révèle la victime d’un piège savamment élaboré. Il est condamné sans le savoir à se substituer à quelqu’un qu’autre – l’ancien amant et complice de Barbara, enfermé dans un grenier depuis des années. Delon n’est plus l’instigateur d’un projet vénal de meurtre et de remplacement, comme dans Plein Soleil, mais une marionnette au cœur d’un plan diabolique ourdi par deux femmes.

L’apparition tardive de l’ancien chauffeur nous donne à voir un reflet trivial, dégradé, presque laid du personnage de Marc et de Delon lui-même, comme saisi dans un miroir déformant. Lui aussi était un gigolo vivant aux crochets des femmes, mais sa beauté s’est flétrie. Il a prématurément vieilli dans l’ombre de sa cachette et a perdu sa virilité et son pouvoir de séduction. Quand Delon se retrouve à son tour enfermé à la fin du film, le spectateur comprend qu’il va subir un sort identique à celui de son prédécesseur, prendre sa place, devenir un autre. Il va se faner comme une fleur coupée, condamné à perdre sa beauté et sa vivacité, prisonnier d’une femme qui l’a transformé en objet.

L’association dans Les Félins de deux corps semblables mais distincts, séparés par le temps mais réunis dans le même espace, soudés d’abord par un lien secret et invisible puis par un funeste destin commun – l’enfermement et la destruction physique – ramène immanquablement à la conclusion de Mr. Klein.

 

Hommage à Alain Delon sur ARTE :

Lundi 19 août 21h : Mélodie en sous-sol de Henri Verneuil

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2019/12/29/melodie-en-sous-sol-de-henri-verneuil/

 

Lundi 19 août 22h56 : Alain Delon, cet inconnu (documentaire) 

Egalement disponible sur ARTE.tv jusqu’au 14 février 2025.

 

Lundi 19 août 23h48 : Les Félins de René Clément

Egalement disponible sur ARTE.tv jusqu’au 18 février 2025.

 

Mercredi 21 août 13h35 : Les Aventuriers de Robert Enrico

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2018/07/11/aventuriers-de-robert-enrico/

 

Mercredi 21 août 15h32 : Romy et Alain, les éternels fiancés (documentaire)

Egalement disponible sur ARTE.tv jusqu’au 17 octobre 2024.

 

Sur ARTE.tv

Masterclass Alain Delon au Festival de Locarno en 2012

https://www.arte.tv/fr/videos/055519-038-A/conversation-avec-alain-delon/

 

Blow Up : hommage à Alain Delon.

 

 

Catégories : Actualités · Rencontres · Sur ARTE

26 commentaires

  1. Fil dit :

    Bonjour,

    Très bien, cet hommage à Delon. Mais pourquoi rien d’autre qu’un (certes formidable mais très frustrant) “Blow up” pour Gena Rowlands. Ses films sont si rares à la télé…

    Cordialement

    • Olivier Père dit :

      Bonjour,
      Nous voulions proposer immédiatement un film avec Gena Rowlands mais les droits n’étaient pas disponibles et il n’y avait pas de replay possible, comme c’est souvent le cas avec les films américains. Nous essaierons de montrer à nouveau les films de John Cassavetes et Gena Rowlands ultérieurement. Il n’y a pas seulement un numéro de Blow Up en hommage à la grande actrice, mais aussi un documentaire de 53 minutes, Gena Rowlands – l’indépendance dans le cinéma et dans la vie, disponible jusqu’au 16/09/2024 sur ARTE.tv

  2. Bertrand Marchal dit :

    Merci pour cette programmation.
    J’ai récemment découvert Delon dans le Professeur de Zurlini. La version longue bien sûr. Delon y est superbe en homme déchu – le film tout entier est recouvert d’un voile gris de mélancolie qui tranche avec les productions italiennes ordinaires- je crois en avoir dit un mot en ces pages.

    Delon est un acteur, et non un comédien comme il le soulignait lui-même avec insistance, qui occupe le plan d’une manière à nulle autre pareille. Le tort qu’ont eu certains cinéastes est de prétendre lui faire débiter de longues tirades, or il est d’abord un corps qui vibre, un regard, une peau, une gestuelle qui s’exprime le mieux dans le silence, l’intériorité. On l’a beaucoup méprisé, et la gauche française a toujours aujourd’hui bien du mal à le saluer. Tout ça est pathétique et même minable. Il restera de lui la trace d’une comète ténébreuse qui continuera à marquer les cinéphiles du monde entier.

  3. Christophe CIANNI dit :

    Merci Arte pour cet hommage, j’ai hâte de découvrir les Félins, j’ai tellement aimé Plein soleil du même réalisateur ! J’aimerais beaucoup revoir Notre histoire, de Bertrand Blier, ce film devenu si rare à la télé, pourquoi donc ? Pensez-y, à l’occasion.
    Bien cordialement. Ch. C., fidèle artophile…

    • Olivier Père dit :

      Merci à vous. Oui Alain Delon est magnifique dans Notre histoire. Je trouve le film de Blier un peu bancal, comme souvent chez cet auteur le début est très réussi, et la seconde partie moins. Le Corbeau sera rediffusé ultérieurement.

  4. Milan dit :

    Bonsoir monsieur Père,

    N’aurait-il pas été intéressant de proposer un film peut-être un peu moins connu d’Alain Delon parmi « Mélodie en sous-sol » et « Les aventuriers » ?
    C’est toujours un grand plaisir de revoir ces films là mais entre la programmation hommage de france tv ( « Le samourai » ,  » La piscine » et « Monsieur Klein ») et la vôtre , hormis  » Les félins  » , ce sont des films qu’on connaît tous.

    Auriez-vous un ou plusieurs bons films d’Alain Delon à conseiller , en dehors donc de ses films les plus célèbres ?

    Cordialement

    PS: Est-ce qu’une reprogrammation du film  » Le corbeau  » est envisagée ?

    • Olivier Père dit :

      Bonjour Milan, je vous l’accorde et Mélodie en sous-sol n’était pas notre premier choix pour rendre hommage à Alain Delon. Le problème était que nous avions déjà diffusé les mois précédant sa disparition la plupart de ses films les plus emblématiques comme Plein Soleil, Rocco et ses frères, Le Samouraï et que d’autres chefs-d’oeuvre tels Mr. Klein, Le Cercle rouge, Un flic ou Le Guépard avaient été très fréquemment et récemment diffusés sur ARTE. Dans le cadre d’un hommage il est préférable de montrer un des grands succès de l’artiste qui a contribué à sa reconnaissance auprès du public, donc un film célèbre. Mais la carrière de Delon est si riche qu’ARTE continuera à diffuser ses films : parmi ses films moins populaires mais magnifiques je vous conseille L’INSOUMIS d’Alain Cavalier, LE PROFESSEUR de Valerio Zurlini. Il y a aussi l’étrange TRAITEMENT DE CHOC d’Alain Jessua, le polar italien BIG GUNS de Duccio Tessari ou SCORPIO de Michael Winner…

  5. Bertrand Marchal dit :

    Un de ses films méconnus qui m’intrigue et que j’aimerais voir, c’est « Attention, les enfants regardent » de ce réal qui a fait la Traque, un film d’une noirceur terrible.

    • Olivier Père dit :

      Oui c’est un film qui s’inscrit dans la trilogie masochiste de Delon, avec des personnages déglingués et autodestructeurs (Le Professeur, Notre histoire). En plus d’être un fable bizarre sur l’influence néfaste de la télévision…

  6. Guillaume dit :

    Dans les Delon un peu méconnus ou oubliés, on peut aussi citer « Attention les enfants regardent » de Serge Leroy, « Armaguedon » d’Alain Jessua (plus bancal que le très bon « Traitement de choc » mais qui reste intéressant) et « Les seins de glace » de Georges Lautner.

    • Olivier Père dit :

      Attention, les enfants regardent est en effet un film intéressant avec Delon dans un rôle inhabituel. Dommage que le film n’ait pas été encore restauré, il est difficilement disponible.

  7. Manoukian dit :

    C’est dommage de diffuser LEs félins à une heure si tardive

    • Olivier Père dit :

      Je vous l’accorde, mais Les félins est également disponible pendant une longue durée sur ARTE.tv, pour que tout le monde puisse le voir quand il le souhaite.

  8. Comet dit :

    Bonsoir. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez (du très bon et trop rare, selon moi) « La Motocyclette »? En vous remerciant par avance. Et il y a également un film très curieux « Attention, les enfants regardent ».

  9. Olivier Père dit :

    Bonjour, je n’avais pas été séduit par La Motocyclette de Jack Cardiff d’après Mandiargues, avec ses effets psychédéliques très datés. Une curiosité, que je n’ai pas revue. Le film de Serge Leroy mérite une redécouverte.

  10. JICOP dit :

    C’est ce que je disais à une collègue qui faisait la moue quand au talent de Delon . Les chaines de télé ont eu tendance à diffuser les memes films et figer Delon dans l’imaginaire ( la meme chose pour Steve McQueen ) . Pour moi le Delon exceptionnel c’est , outre les Melville ,  » le professeur  » ,  » l’insoumis  » ,  » L’éclipse  » ,  » Monsieur Klein  » ou  » les aventuriers  » . On peut y ajouter des insolites comme  » Doucement les basses  » ,  » Un amour de Swann  » ou  » Big guns  » . Delon , comme Belmondo avec  » Stavisky  » , a laissé tomber toute ambition artistique après l’echec de  » Monsieur Klein  » , en y ajoutant la mort simultanée de ses peres de substitution Gabin et Visconti . Il est clairement dommage qu’il n’ait pas accepté la proposition de Johnny To pour  » Vengeance  » . Acteur magnifique en tous points .

    • Olivier Père dit :

      Oui la palette d’acteur de Delon était beaucoup plus large qu’on l’a dit, quand il était dirigé par un grand cinéaste. il suffit pour s’en convaincre de comparer ses prestations dans Rocco et ses frères et dans Le Guépard, réalisés à trois ans d’intervalle : des personnages et des interprétations diamétralement opposés. Ou alors ses rôles dans les polars et ceux du Professeur ou de Mr. Klein. Après le chef-d’oeuvre de Losey, il ne faut pas oublier Nouvelle Vague (1990) de Godard qui clôt littéralement la carrière de Delon, puisqu’il y est fait de nombreuses allusions à Plein Soleil (1960).

  11. JICOP dit :

    Vous avez tout a fait raison sur les deux Visconti . C’est une évidence qui mérite qu’on l’écrive à nouveau . J’ai été un peu lapidaire sur l’après-Klein . La première partie de sa carrière est tellement énorme qu’on fait la fine bouche sur la seconde . Pourtant il y eut un bon  » Mort d’un pourri  » ,  » le gang  » ou il était étonnant . Quand à  » Nouvelle vague  » , je suis moins adepte mais effectivement les clins d’oeil étaient nombreux . Je retenterai volontiers .

    • Olivier Père dit :

      Hormis Melville, Delon apparait dans de bons voire d’excellents polars qu’on aurait tort de sous-estimer : Le Clan des Siciliens, Big Guns, Flic Story, Mort d’un pourri, Borsalino and Co (suite bien meilleure que l’original)… si on fait abstraction de la fidélité aux romans de Manchette, 3 hommes à abattre et Pour la peau d’un flic sont moins mauvais qu’on l’a dit.

  12. JICOP dit :

    Je me souviens régulièrement de la scène dans  » Scorpio  » ou son personnage découvre à travers des images volées qu’il a été trahi par sa petite amie . Il y était formidable et parlait de Burt Lancaster avec de l’admiration non feinte dans les yeux . Je rajouterai ce titre également à la liste que vous avez dressé . J’ai toujours considéré  » 3 hommes à abattre  » comme un excellent polar , nerveux et violent avec sous-texte politique . Presque un poliziottesco à la Française

  13. Ania dit :

    Que pensez vous de « La Veuve Couderc »? Je l’ai vu hier et je suis encore sous le choc …
    Quel immense acteur !

  14. Milan dit :

    Bonsoir monsieur Père ,

    J’ai déjà pu voir « Le professeur » et  » Traitement de choc » sur votre chaîne justement, alors merci pour votre programmation cinéma depuis toutes ces années , et merci pour vos conseils plus haut ( ainsi que les contributions des autres intervenants dans les commentaires ) .

    J’aimerais néanmoins rebondir sur votre réponse à Fil , au sujet des droits des films avec Gena Rowlands, pour vous demander pourquoi les droits de certains films sont plus dfficiles à acquérir , avec la question des replays ? J’imagine que cela doit être une contrainte importante pour votre programmation.

    Si vous n’avez pas le temps d’y répondre, pourriez-vous me conseiller un article ou un livre qui traiterait de cette question.
    Merci beaucoup

    • Olivier Père dit :

      Bonjour,
      En principe nous pouvons obtenir tous les films pour l’antenne (en tenant compte bien sûr de leur disponibilité et de la qualité du matériel) sauf lorsque les ayants-droits demandent des sommes trop importantes qu’une chaîne comme Arte ne peut pas payer – les gros blokcbusters ou les comédies françaises très populaires par exemple. C’est plus complexe pour les droits numériques car la plupart des studios américains (les « majors ») refusent le replay : d’abord par crainte du piratage, ensuite parce qu’ils possèdent souvent leurs propres plateformes payantes pour exploiter eux-mêmes leurs films et préfèrent en conserver l’exclusivité (exemple : Warner). Ce fut longtemps la même chose avec les majors françaises (Gaumont, Pathé) ou les compagnies françaises qui possèdent un important catalogues de films (Studiocanal, TF1…), souvent pour des questions de principes mais progressivement les pratiques s’adoucissent, les mentalités changent et certains sociétés ont évolué au sujet de leur politique numérique : nous pouvons désormais proposer des films de Louis Malle (dont les droits sont gérés par Gaumont) sur Arte.tv et YouTube, grâce à Gaumont. Nous nous en réjouissons, car notre objectif est de diffuser des films importants du patrimoine cinématographique mondial pour le plus grand nombre et aussi les nouvelles générations, sur les différents écrans.

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