Olivier Père

Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa

Nous avions découvert Shokuzai en 2013 comme film de cinéma en deux parties, qui avait été présenté à la Mostra de Venise avant d’être distribué dans les salles françaises.

Arte.tv permet de revoir cette oeuvre maîtresse dans la carrière de Kiyoshi Kurosawa sous sa forme originale, celle d’une mini-série en cinq épisodes produite et diffusée par la chaîne payante WOWOW.

Dans la cour d’école d’un paisible village japonais, quatre fillettes sont témoins du meurtre d’Emili, leur camarade de classe. Sous le choc, aucune n’est capable de se souvenir de l’assassin. Asako, la mère d’Emili, désespérée de savoir le coupable en liberté, convie les quatre enfants chez elle pour les mettre en garde : si elles ne se rappellent pas du visage du tueur, elles devront faire pénitence toute leur vie. Quinze ans après, que sont-elles devenues ? Sae et Maki veulent se souvenir, les autres ont préféré ou essayent d’oublier.

Adaptation d’un livre de la romancière Minato Kanae, Shokuzai (« pénitence ») propose la synthèse réussie et parfaite de tout le cinéma de Kiyoshi Kurosawa, qui s’empare de cette commande télévisuelle pour en faire une œuvre éminemment personnelle et une leçon de mise en scène supérieure à la grande majorité des films produits pour le grand écran.

Le film commence comme une enquête policière sur un crime atroce. Mais son véritable sujet devient la condition féminine dans le Japon moderne, au travers des portraits de quatre jeunes femmes et de la mère d’Emili, personnage de mélodrame torturée par un deuil impossible et le désir de vengeance. Shokuzai est à sa manière un film de fantôme, genre dans lequel Kurosawa est passé maître, puisque tous les personnages féminins sont hantés par le spectre d’Emili, dont la disparition a profondément infléchi le cours de leur destin.

 

Shokuzai est constitué de chapitres consacrés à la vie des fillettes devenues des jeunes femmes, et qui ont chacune développé des névroses différentes pour essayer de survivre à ce traumatisme : phobie des hommes, violence ou soumission… Kurosawa dessine des portraits parfois effrayants (l’épisode de la femme poupée, que n’aurait pas renié Buñuel), souvent émouvants et magnifiquement interprétés. Ce dispositif presque théorique nous amène à des révélations finales d’une cruauté insoupçonnable. Kurosawa respecte la matière feuilletonesque et mélodramatique de son matériau littéraire, mais il l’enrichit d’un travail de cinéaste qui laisse toujours planer du mystère et de l’opacité dans ce qu’il transforme en véritable film cerveau.

On sent l’influence de Richard Fleischer, Robert Wise, Fritz Lang, autant de cinéastes hollywoodiens souvent cités par Kurosawa, cinéaste cinéphile aux confins du classicisme et de la modernité qui n’a jamais caché son admiration pour un film comme L’Etrangleur de Boston, qui partage avec Shokuzai – mais aussi avec Cure – la description clinique d’une enquête policière qui débouche sur l’exploration de la psyché d’un esprit malade.

Shokuzai est disponible gratuitement sur Arte.tv du 23 août 2023 au 13 juin 2025.

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10 commentaires

  1. MB dit :

    bizarre je ne retrouve pas ce titre sur Arte.TV
    « Nous sommes désolés, aucun résultat ne correspond à votre recherche « shokuzai » »

    c’est la chaleur

  2. MB dit :

    et vous l’aviez précisé pourtant!

    ça doit être la chaleur!

    merci

  3. Bertrand Marchal dit :

    Dite Monsieur Père, j’écris cette requête n’importe où et vous pourrez effacer ce post: je cherche le titre d’un téléfilm anglais des années 70. Il s’agit de l’histoire d’un homme, un notable, marié et père d’une jeune fille. Il y a entre le père et la fille un grand amour presque incestueux… A la fin, cet homme prend sa voiture et a un accident terrible sur une route de montagne (Ecosse?), la voiture fini contre le parapet, à la vertical. le plan est très bizarre, puis la voiture bascule.

    C’est un téléfilm qui a des relents fantastiques, au rythme très lent. Est-ce que ça vous dit quelque chose?

    je ne l’ai pas vu, mais j’ai lu un article dessus il y a quelques mois à peine et incapable de me rappeler le titre, ni l’intrigue en détail…. je n’ai rien retrouvé sur Internet.

    • Olivier Père dit :

      The Appointment, de Lindsey C. Vickers (1981)

      distribué pour la première fois en France l’année dernière, par Les Films du Camélia, qui l’a également édité en BR.
      une oeuvre fascinante !

  4. Bertrand Marchal dit :

    ah super! Je vais essayer de le voir.

    J’espère que vous allez en faire un article!

  5. Bertrand Marchal dit :

    Évidemment, chaque chose en son temps, et d’abord vos obligations vis à vis des programmations d’Arte… Le boulot avant tout!

  6. Bertrand Marchal dit :

    J’ai vu il y a quelques jours sont court métrage, CHIME.

    Un spectateur ordinaire, qui ne vibre pas sur une longueur d’onde particulièrement empathique devant un film fantastique ne lui trouvera aucun intérêt. Et moi, je considère que tout le fantastique tel que résumé par Thomas Owen et Jean Ray (auteurs majeurs du genre, et oh, ils sont belges) se trouve condensé dans ce petit essai. La faille, l’incertitude, l’imprécision, l’effroi. L’envers de la Raison.

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