Olivier Père

Les Chambres rouges de Pascal Plante

Après une sortie trop discrète en janvier 2024, il est possible de voir si on l’a raté en salle Les Chambres rouges (2023) de Pascal Plante dans un combo DVD/BR édité par ESC. Ce film est un choc et constitue véritable découverte. Les admirateurs de Atom Egoyan et David Cronenberg première période (les sinistres « chambres rouges » apparaissaient déjà dans Videodrome, en 1983) peuvent considérer Pascal Plante comme leur digne successeur. Il est même permis de penser aux débuts cinématographiques de Michael Haneke et sa « trilogie de la glaciation émotionnelle » devant la description d’un monde déshumanisé à laquelle se livre Pascal Plante. La ville de Montréal telle qu’elle est filmée dans Les Chambres rouges n’a rien à envier en matière de froideur clinique à l’univers pavillonnaire autrichien. Le  réalisateur s’empare d’un sujet insoutenable : le procès hyper médiatisé d’un présumé tueur en série qui aurait torturé et filmé trois jeunes adolescentes pour des vidéos destinées à la vente sur le darknet. Le cinéaste tisse un thriller psychologique ultra-tendu et brosse le portrait d’une jeune femme énigmatique qui se passionne pour cette affaire pour des raisons mystérieuses. Elle se rend chaque matin au Palais de justice, où elle rencontre une groupie de serial killers comme il en existe hélas dans la réalité – cela s’appelle l’hybristophilie. Une telle histoire aurait pu donner lieu à un traitement racoleur ou sensationnaliste. Malgré son point de départ, Les Chambres rouges n’est pas un film d’horreur et n’entretient aucun rapport avec le « torture porn », si ce n’est pour en proposer l’hors-champ pendant presque deux heures. Les Chambres rouges questionne le pouvoir néfaste des images, et plus précisément des nouvelles technologies à l’emprise aliénante – l’héroïne, génie de l’informatique, vit dans un appartement presque nu entièrement contrôlé par l’intelligence artificielle. Le film de Plante est extrêmement dérangeant et imprévisible. Il ne s’englue pas dans le malsain et se révèle une entreprise morale qui ausculte la fascination pour le mal à l’aide d’un dispositif esthétique rigoureux, d’une grande maîtrise, et chargé de suspens. Grâce à son ambiguïté très calculée et son absence de manichéisme, Les Chambres rouges s’impose comme une réussite, tant sur le plan de la mise en scène que de l’interprétation : Juliette Gariepy, dont c’est le premier rôle, est impressionnante.

Il s’agit du troisième long métrage de fiction de Pascal Plante (35 ans) dont le film précédent, Nadia, Butterfly, avait été présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard en 2020.

Catégories : Actualités

27 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    Je ne connais pas du tout ce cinéaste. je note!

    A propos d’Haneke, que devient-il? il n’a plus rien fait depuis 7 ans. Et je n’ai pas vu son dernier film, avec Huppert et Trintignant.. Vaut-il le coup? La presse était très divisée. Signe de qualités indéniablement!

    • Olivier Père dit :

      Haneke n’a pas de projet actuellement. Happy End n’est pas son meilleur film mais il mérite d’être vu, pour sa satire cruelle d’une famille de la grande bourgeoisie de Calais et son humour plus que noir. Tous les films de Haneke sont disponibles actuellement sur Arte.tv (sauf Funny Games US) Le 1er août nous mettrons en ligne une conversation avec le cinéaste autrichien au sujet de ses premiers téléfilms, qui seront aussi disponibles sur Arte.tv cet été.

  2. Bertrand Marchal dit :

    Malheureusement, la Belgique est interdite de diffusion!

    • Olivier Père dit :

      Arte n’a que les droits France et Allemagne pour les films de Haneke. D’autres titres (notamment de la sélection Arte Kino Classics) sont disponibles dans de nombreux pays d’Europe.

  3. Bertrand Marchal dit :

    Dites, rien à voir, mais vous qui être très amateur de «  » »vieux » » » films fantastiques insolites, avez-vous entendu parler (et peut-être vu – par miracle) des films de Kåre Bergstrøm, cinéaste norvégien qui a réalisé dans les années 50 quelques pellicules dont je découvre qu’elles sont très bien notées sur IMDB?

  4. Bertrand Marchal dit :

    Son plus fameux semble être Lake of the Dead, il est sorti dans un coffret anthologique Bluray intitulé « All the Haunts Be Ours: A Compendium of Folk Horror  » publié par Severin Films.

    le coffret contient uniquement des films dont je n’ai pas entendu parler, à l’exception de A field in England.

    Woodlands Dark and Days Bewitched documentary / Eyes of Fire / Leptirica / Witchhammer / Viy / Lake of the Dead / Tilbury / The Dreaming / Kadaicha / Celia / Alison’s Birthday / Wilczyca / Lokis: A Manuscript of Professor Wittembach / Clearcut / Il Demonio / Dark Waters / A Field in England / Anchoress / Penda’s Fen / Robin Redbreast

    une page qui parle de Lake of the Dead / De Dødes Tjern

    https://www.blu-ray.com/movies/Lake-of-the-Dead-Blu-ray/308642/#Review

  5. Bertrand Marchal dit :

    Tout ça fait remonter à ma mémoire un autre film norvégien épatant, vu il y a quelques années: la Chasse (Jakten) d’Erik Løchen. Celui-là, vous devez le connaître…

  6. Olivier Père dit :

    super coffret qui réunit des titres emblématiques et rares de la « Folk Horror » internationale ! espérons qu’il soit un jour édité en France. j’ai Viy et Penda’s Fen sur des BR indépendants.

  7. Bertrand Marchal dit :

    la chasse est un film captivant et il a droit ici et là à la médaille d’honneur »culte ». Un film a suspense méditatif dont les évènements sont rendus au spectateurs par les monologues intérieurs des trois personnages – un trio sentimental qui éclate à l’occasion d’une chasse. A voir!

    Les bluray sont aussi « zonés » comme les dvd? Je viens justement de m’acheter un lecteur BR, je suis totalement ignorant en la matière!

    • Olivier Père dit :

      oui c’est la même chose que les DVD. il faut un lecteur multizone pour visionner des BR américains ou asiatiques (zone 1). pour les BR européens (Angleterre comprise) pas de problème.

  8. Bertrand Marchal dit :

    L’éditeur Severin films dit ceci dans ses FAQ:
    Are your Blu-rays/DVDs region free? Most of them are, but a small amount are not. Each listing on our site will have Region Code information included within.

    sauf qu’il est impossible d’entrer dans leur site pour vérifier!

    • Olivier Père dit :

      attention j’ai un coffret Severin (Black Emanuelle) et il n’est pas « region free » il faut un lecteur qui puisse lire les BR américains.

  9. Bertrand Marchal dit :

    je n’avais pas bien lu: l’éditeur annonce la fermeture temporaire du site – j’en prends note pour me reconnecter le 12, début des SOLDES!!

    Our website will be shut down BEFORE the sale beginning on July 8th to make price adjustments, organize listings, and to ship all outstanding orders.

  10. Comet dit :

    Bonjour. C’est aussi complètement hors sujet mais avez-vous vu Le Cœur fou qui vient d’être édité par Le Chat qui fume ? Si c’est le cas, pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez. Merci d’avance.

    • Olivier Père dit :

      oui c’est un film très étrange et esthétisant sur la folle cavale d’un journaliste tombé amoureux fous d’une pyromane échappée d’un hôpital psychiatrique. a voir.

  11. Bertrand Marchal dit :

    J’ai vu les Chambres Rouges.
    Sans rigoler, c’est la plus belle proposition de cinéma que j’ai vu cette année. Exactement le genre de film que j’aime. Il y a du Haneke et du Jonathan Glazer ici. Superbe séquence d’introduction. Une maîtrise du plan extraordinaire!
    Les actrices sont aussi très bien dirigées. les deux forment un couple de cinéma très fort où chacune est l’envers de l’autre, dans le jeu, le physique, la psychologie, la gestuelle. Vraiment je suis admiratif!

    • Olivier Père dit :

      j’ai pu constater autour de moi que le film provoque des réactions très contrastées. c’est soit l’enthousiasme le plus total (et nous sommes d’accord sur ce point), ou le rejet le plus total. c’est certainement la raison pour laquelle le film n’a été invité dans aucun grand festival, et a fait sa première mondiale à Montréal.

  12. Bertrand Marchal dit :

    Il faut certainement avoir un esprit prêt à embrasser les parts d’obscurité les plus antisociales de l’individu pour apprécier ce film. Question de sensibilité, et celle des amateurs de films d’horreur, comme vous et moi, est certainement plus ouverte à ce genre de visite dans les abysses de la psyché humaine. Le film n’est corrigé par aucun humour non plus.

    Les critiques professionnels, parfois, sont tellement saisis intimement par un sujet qu’ils sont incapables d’en parler froidement et d’en estimer les qualités purement cinématographiques. Ce fut le cas pour bien des films. Nocturama de Bonello a souffert de ce rejet, à un certain moment.

  13. Bertrand Marchal dit :

    Effectivement, le film n’a rien du torture porn! J’ai revu Hostel2 il y a moins d’une semaine, et quand bien même je sais que vous aimez Eli Roth, Je dois dire que « pour moi », c’est une purge!
    D’ailleurs ce genre a-t-il donné un seul film intelligent et digne d’être loué pour ses qualités?

  14. Snoopy18 dit :

    Quelle découverte! LES CHAMBRES ROUGES est un film qui infuse longtemps puis, dégage une puissante rémanence.
    Filmé cliniquement, méticuleusement, avec un budget que l’on imagine réduit, le film impose une rigueur prégnante dès ses premiers plans.
    Le suspense, les rebondissements s’articulent majoritairement autour de captures d’écrans. Rendre cela haletant, oppressant est une des réussites majeures de Plante.
    Le personnage de Kelly Anne, clone contemporain de « The Lady of Shalott » est un personnage complexe, (presque) fascinant. Comme dans la légende, elle n’entrevoit le monde que par reflets: écrans, objectifs, parois vitrées… C’est une prédatrice qui s’immerge dans des protocoles quotidiens , renvoie une image désexualisée, se nourrissant de liquides mixés. Profondément asociale, elle est organiquement hérissée par la présence de Clémentine. L’interprétation quasi mutique de Juliette Gariépy, ses métamorphoses, constituent une des performances de l’année.
    PS 1: j’aimais bien l’affiche romantico-gothique qui figure dans le DVD. Mais miser là dessus pour la distribution n’a du emballer personne…
    PS2: la notion de Red Room (snuff movie) semble issue d’un film japonais plutôt série Z inconnu pour moi. Le connaissez vous?

  15. Olivier Père dit :

    Vous voulez parler du film de V-cinéma réalisé par Daisuke Yamanouchi en 1999 ? non pas vu
    je ne savais pas que le terme avait été inventé pour ce film. il y avait déjà une « chambre rouge » dans Videodrome de Cronenberg en 1983 mais elle n’était pas désignée ainsi…

  16. Snoopy18 dit :

    Oui, il s’agit bien de D. Yamanouchi metteur en scène un peu à la marge…laissons tomber!
    Je ne connais pas exactement l’origine du glissement de la dénomination « snuff movie » vers celle de « red room » mais plusieurs sources citent ce film de 1999. Etrange notoriété…
    Au final, comme d’habitude, Cronenberg arpente, en précurseur, des terrains escarpés.

  17. Bertrand Marchal dit :

    la chambre rouge a aussi été visitée par David Lynch!

    Merci Snoopy18 pour votre évocation de Lady of Shalott. Je m’étais promis de voir de quoi il s’agissait et aussi de chercher le nom du peintre dont le tableau fait le fond d’écran dans le film.

    J’ai vu hier Nadja, butterfly. Plante a un talent indicible (en ceci qu’il est difficile d’expliciter la formule de sa réussite) pour évoquer le malaise, le déséquilibre d’une personnalité sur le fil, l’incertitude, les hésitations, le flottement, la quête de la meilleure voie.

    Un grand cinéaste qui, je le prévois!, donnera au cinéma des films encore très puissants dans l’attention qu’ils prêtent aux replis les plus intimes de l’âme humaine. Il ose concevoir la personne comme une construction unique d’affects, de troubles, d’envies sourdes qui ne se laissent pas saisir; c’est ce regard pénétrant et plein de compassion, de compréhension, porté à l’ineffable de l’être humain qui fait sa très grande force. Et la raison pour laquelle il ne sera jamais aimé par tous.

  18. Snoopy18 dit :

    À Bertrand Marchal,
    Il s’agit d’un tableau de John Atkinson Grimshaw, peint en 1875. Ce n’est pas la plus célèbre version mais certainement la plus funèbre.
    Il y a là une résonance idéale avec le contenu; je reste sur mon impression qu’une telle affiche avait sa place.
    Vous m’avez donné envie de prolonger le cycle Plante avec Nadia, butterfly.

  19. Bertrand Marchal dit :

    Grimshaw, un patronyme approprié, un homophone de grim show, spectacle lugubre.

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