Le docteur Pablo Morales est un hédoniste de la petite bourgeoisie de Mexico. Porté sur la bouteille et la bagatelle, Pablo s’adonne également au hobby de la taxidermie. Il possède dans le sous-sol de sa maison une impressionnante collection d’animaux empaillés et de squelettes en tous genres. Il a le malheur d’être marié à Gloria, une femme bigote, infirme et aigrie qui s’acharne à lui gâcher l’existence, écœurée par sa passion solitaire et sa joie de vivre. Le couple, au bord de l’implosion, va s’enfoncer dans un abîme de violence mentale et physique.
Quand il découvre enfin Le Squelette de Madame Morales (El esqueleto de la señora Morales, 1960), demeuré longtemps inédit dans notre pays, le cinéphile français y relève d’étonnants liens de parenté avec El (Tourments), le chef-d’œuvre de Luis Buñuel réalisé sept ans plus tôt. Les deux films partagent le même scénariste, Luis Alcoriza, un Espagnol qui s’était installé au Mexique au moment de la guerre civile. Alcoriza devient le fidèle collaborateur de Buñuel, autre exilé espagnol, avec huit films en commun entre 1949 (Le Grand Noceur) et 1962 (L’Ange exterminateur). Du milieu des années 40 jusqu’à 1992, date de sa disparition, et après avoir débuté sa carrière en tant qu’acteur, Alcoriza s’impose comme un scénariste-réalisateur incontournable et hyperactif de l’industrie cinématographique mexicaine, où il s’illustre dans tous les genres. Avec Le Squelette de Madame Morales, Alcoriza adapte une nouvelle de l’écrivain gallois Arthur Machen (1863-1947), sommité de la littérature fantastique et de science-fiction, et dont les récits de « folk-horror » exercèrent une forte influence sur H. P. Lovecraft et Stephen King. La nouvelle en question, The Islington Mystery, publiée pour la première fois en 1927, fut inclue dans le recueil The Cosy Room and Other Stories en 1936. Arthur Machen s’était inspiré d’un fait-divers qui avait défrayé la chronique au début du XXème siècle. Un médecin américain installé à Londres, le docteur Hawley Harvey Crippen, fut accusé d’avoir empoisonné sa femme et fait disparaître le corps de cette dernière. Scotland Yard ne découvrit qu’un morceau d’abdomen caché sous un tas de charbon dans la cave de leur maison. Crippen, qui a toujours clamé son innocence, fut déclaré coupable, condamné à mort et pendu en 1910.
Alcoriza transpose dans le Mexique contemporain la nouvelle macabre de Machen, dans laquelle un taxidermiste croit réussir à se débarrasser de sa femme sans éveiller les soupçons. Le film, dénué d’éléments surnaturels, est une comédie criminelle dont les sources anglo-saxonnes sont enrichies par un sens du baroque et de l’outrance typique du cinéma mexicain. Son humour très noir n’épargne aucun des personnages, avec des saillies misogynes et anti-machistes, et un anticléricalisme particulièrement féroce dans un pays aussi marqué par la ferveur catholique. Le Squelette de Madame Morales, à l’instar de El, est la description d’un enfer conjugal. Le film de Buñuel, adapté d’un roman de Mercedes Pinto, désignait sans ambiguïté la jalousie du mari, atteint d’un délire paranoïaque, comme responsable de l’impossible harmonie au sein d’un couple. La jeune épouse, martyrisée, était entièrement assujettie au pouvoir masculin. Dans le film de Rogelio A. Gonzalez, les fautes sont partagées. L’homme est présenté comme un jouisseur sans envergure, plein d’enthousiasme puéril, engoncé dans son égoïsme et le confort de ses habitudes. Son épouse handicapée, meurtrie dans sa chair et son esprit, s’acharne contre lui et tout ce qu’il aime. Personnage à la fois odieux et pathétique, elle en vient à s’infliger des blessures au visage pour que son mari soit accusé de violences conjugales. Par une curieuse coïncidence, les deux femmes portent le même prénom, Gloria. Dans El, c’est le mari qui est un catholique pratiquant proche du fanatisme. Dans Le Squelette de Madame Morales, c’est Gloria qui s’est réfugiée dans la religion, constamment entourée d’un curé et d’un groupe de grenouilles de bénitier tournés en dérision. Elle éprouve du dégoût pour les plaisirs terrestres et se refuse à son mari. Si l’actrice espagnole Amparo Rivelles campe une Gloria Morales mémorable, c’est bien Arturo de Córdova qui constitue la principale attraction du Squelette de Madame Morales, dans le rôle de Pablo Morales. Grande vedette du cinéma mexicain, apparu dans une centaine de films, Arturo de Córdova n’a pas hésité à écorner son image de séducteur ou de héros romantique en interprétant le mari paranoïaque de El ou le taxidermiste assassin du Squelette de Madame Morales. Dans les deux cas, Arturo de Córdova endosse les attributs grotesques d’une masculinité toxique et défaillante. Dans Le Squelette de Madame Morales, sa manière de jouer l’exaltation ou au contraire l’exaspération, sans jamais craindre le ridicule, le place dans la catégorie des cabotins géniaux.
Rogelio A. González a réalisé 70 films dans tous les genres populaires, du mélodrame à la comédie, en passant par le western, l’érotisme et même la science-fiction. Figure respectée de l’industrie cinématographique mexicaine, son œuvre n’a pas beaucoup circulé en dehors des frontières de son pays.
Le Squelette de Madame Morales a été classé 19ème dans la liste des 100 meilleurs films mexicains publiée en 1994 par la revue Somos.
Texte écrit pour la brochure de présentation du film.
Sortie en salles mercredi 3 avril, distribué par Les films du Camélia.
Une belle surprise! Il est vrai qu’on avait tendance à réduire, jusqu’à récemment encore, le cinéma mexicain classique au seul nom de Buñuel. Mais la rétrospective consacrée au cinéma populaire Mexicain présentée cet été à Locarno, et reprise ailleurs, nous en a fait découvrir toute la richesse.
Moi, j’ai adoré le film noir intitulé La noche avanza de Gavaldón avec un Armendáriz particulièrement odieux.
Vu à Ciné Christine, un délice que ce film, mélange de noirceur et de drôlerie, avec beaucoup d’humour, on plonge avec délectation dans cet univers mexicain d’un autre temps.