Dans le cadre de sa programmation spéciale Festival de Cannes, ARTE diffuse lundi 24 mai à 20h55 Kagemusha, l’ombre du guerrier (Kagemusha) qui remporta la Palme d’or en 1980. Ce film aux proportions épiques décline pendant 2h40 (durée de la version internationale, la japonaise possède vingt minutes supplémentaires) un motif visuel et narratif qui irrigue une grande partie de toute l’œuvre de Kurosawa : celui du complot. Au complot central du film viennent s’ajouter des conspirations annexes, familiales et politiques, qui décrivent un monde en proie à des émotions et des actions négatives. Dans le Japon féodal du 16ème siècle, des généraux ourdissent un stratagème qui leur permettra de maintenir la position de force de leur clan face à leurs ennemis. Ils décident avec son consentement de remplacer leur chef agonisant par un voleur sauvé de la crucifixion qui lui ressemble trait pour trait, afin de dissimuler sa mort pendant une période de trois ans. Le sosie, d’abord maladroit, inapte à respecter le protocole et écrasé par une trop lourde responsabilité, finit par s’identifier au seigneur qu’il remplace, goûter à ses privilèges et à l’ivresse du pouvoir. Kurosawa illustre la vaine illusion des hommes à vouloir modifier le cours des choses et l’organisation secrète de l’univers. Si la doublure parvient à tromper jusqu’à l’entourage privé du seigneur, le règne animal aura raison de la supercherie et entraînera la chute de toute une dynastie.
Kagemusha porte autant la marque du chaos (la guerre et les trahisons y sont omniprésentes) que d’un pessimisme radical, synchrone avec l’état d’esprit de son auteur, colosse aux pieds d’argile qui avait traversé une décennie malheureuse et souffrait de ne pouvoir réaliser des films à la hauteur de ses ambitions. Il faudra l’enthousiasme de George Lucas et Francis Ford Coppola pour permettre à leur maître Kurosawa de bénéficier du financement généreux de la Twentieth Century Fox, et d’accoucher d’un chef-d’œuvre au fort retentissement international.
Kagemusha est un film crépusculaire qui baigne dans une atmosphère funèbre. Kurosawa évacue la violence spectaculaire des batailles, l’exaltation héroïque des combats pour ne filmer que les cadavres et les corps meurtris qui jonchent le sol après la défaite. La guerre est une boucherie, même lorsqu’elle prend les teintes d’un tableau de la Renaissance sous la caméra pinceau du cinéaste. Il en résulte une œuvre visionnaire aux qualités théâtrales et picturales supérieures, qui mêle à une réflexion métaphysique sur l’identité (que devient l’imitateur lorsque son modèle n’existe plus ?) l’expression d’un profond désenchantement intime.
Au-delà des considérations de la longeur du film, qui au Japon est normale, comme le tempo ralenti du théâtre nô mais pas du point de vu occidental, il faut regarder les décors, costumes et accessoires qui sont sublimes parcequ’authentiques. Les scènes épiques des champs de bataille sans manipulations vidéo sont formidables.
oui elles sont incroyables. et il faut voir le film dans sa version japonaise intégrale.