Olivier Père

La Route de Salina de Georges Lautner

Jean-Baptiste Thoret nous a permis de voir enfin La Route de Salina de Georges Lautner dans d’excellentes conditions, grâce à une beau combo Blu-ray/DVD dans sa collection « Make My Day » (chez Studiocanal). On comprend maintenant pourquoi Quentin Tarantino aime autant ce film de genre pas comme les autres, qui emprunte à la fois au giallo, à la série noire et au mouvement hippie qui envahissait la culture populaire en cette année 1970. Dans les suppléments proposés dans le Blu-ray de La Route de Salina, des archives d’époque montrent Georges Lautner présenter son film comme « un produit destiné à l’exportation ». C’est une description à la fois juste et modeste, mais qui ne rend pas hommage aux qualités et à l’originalité d’un long métrage suffisamment intriguant pour laisser une trace durable dans l’esprit du spectateur qui le découvrira aujourd’hui. Lautner est un cinéaste qui s’est illustré tout au long de sa carrière dans le cinéma commercial, sans autre ambition que de réaliser des succès populaires. La Route de Salina constitue un pas de côté dans sa filmographie, presque une anomalie. Réalisé entre Le Pacha (avec Gabin) et Laisse aller, c’est une valse (avec Jean Yanne et Mireille Darc), le film a été tourné en anglais (avec une version française confiée à Pascal Jardin), avec des acteurs américains, et de toute évidence l’intention de viser le marché international. Bien que l’action soit censée se dérouler sur la frontière entre le Mexique et les États-Unis, La Route de Salina a été tourné dans les paysages désertiques et écrasés par le soleil des Iles Canaries, en Espagne. Maurice Fellous, fidèle directeur de la photographie de Lautner, capte de façon spectaculaire, en écran large Panavision, des espaces immenses de sable, de ciels et de mer où s’agitent des personnages en pleine surchauffe émotionnelle et physique. Certains photogrammes pourraient être confondus avec ceux de Zabriskie Point. Rien que pour cela, La Route de Salina n’est pas un simple film d’exploitation. La beauté de ses images, sa construction savante en flash-back, son ambiance poisseuse et onirique à force de distortions le placent dans la catégorie des films envoûtants, hyper-stylisés, qui transcendent les clichés, vers une zone d’inconfort et de fascination. Cela commence par une (presque) classique histoire d’imposture, avec l’arrivée sur un bord de route poussiéreuse d’un jeune hippie recueillie par une femme marquée (émouvante Rita Hayworth, dans son antépénultième film) qui croit reconnaître en lui son fils parti il y a quatre ans. Le garçon, et le spectateur, se perdent en conjectures sur les raisons de cette confusion : folie, désespoir ou plan machiavélique ? Il ne tarde pas à tomber amoureux de sa fausse sœur, et à lever le voile sur un terrible drame familial et passionnel. Robert Walker Jr, maigrichon et chevelu comme un authentique hippie, n’a pas la carrure d’un grand acteur. Sa fragilité physique et sa fadeur conviennent pourtant au rôle de ce pauvre type embarqué dans les fantasmes et les mensonges d’une mère et de sa fille, soudées par le crime. Mimsy Farmer a rarement été aussi sexy et inquiétante, et définit une image de la néo-femme fatale, perverse et psychotique. Sa présence au générique de La Route de Salina place le film de Lautner à la croisée des chemins entre More de Barbet Schroeder et Quatre Mouches de velours gris de Dario Argento. La Route de Salina ne serait pas le même film sans la géniale musique de Christophe, entre rock psychédélique, mélodie sucrée et complainte lancinante, qui nous fait regretter que l’auteur-compositeur, passionné de cinéma, n’ait pas participé à davantage de bandes originales. Le morceau Sunny Road to Salina sera repris par Tarantino dans Kill Bill vol. 2. On peut aussi regretter que Lautner n’ait pas persévéré dans cette voie. La Route de Salina demeure de loin son meilleur film avec, dans un registre beaucoup moins pop, Le Septième Juré et Mort d’un pourri.

 

En mémoire de Christophe, homme et artiste si poétique.

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3 commentaires

  1. Rémy dit :

    Bonjour Olivier,

    Avez-vous une explication quant à l’absence de la version originale anglaise sur le combo « Make My Day »? N’ayant pas vu le film j’hésite à me procurer l’édition…

    Cordialement.

    • Olivier Père dit :

      Bonsoir Rémy.
      Non je ne sais pas, il faudrait demander à J-B. Thoret. Moi aussi j’étais surpris par cette absence. Mais je dois avouer que la VF est très bien et ne m’a pas trop dérangé.

  2. Rémy dit :

    Très bien, merci de votre réponse !

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