Olivier Père

Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg

Adapté comme Rebecca et Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock d’une nouvelle de Daphné du Maurier, Ne vous retournez pas (Don’t Look Now, 1974) peut être considéré sans hésitation comme le chef-d’œuvre de Nicolas Roeg, directeur de la photographie britannique, spécialiste des couleurs violentes (Fahrenheit 451Le Masque de la mort rougePetulia…) passé à la mise en scène en 1968 avec Performance (co-réal. : Donald Cammell). La carrière de Roeg s’est hélas enlisée dans les années 80, victime de ses excès esthétisants, à l’instar de celle de son collègue Ken Russell. On lui doit au moins deux autres titres formidables, La Randonnée tourné en Australie et L’homme qui venait d’ailleurs avec David Bowie. Enquête sur une passion est un film ambitieux mais moins abouti malgré l’interprétation géniale de Theresa Russell qui deviendra l’épouse et l’égérie de Roeg dans une série de films encore plus problématiques. Mais Ne vous retournez pas est à voir absolument. La coïncidence entre le maniérisme de la mise en scène de Roeg, le caractère morbide de l’histoire et la beauté croupissante de Venise donnent naissance à un magnifique thriller psychologique aux frontières du fantastique et de l’occulte, à la croisée de deux cultures cinématographiques, italienne et anglaise. En Angleterre, une fillette se noie dans un lac, et ses parents interviennent trop tard pour la sauver. Peu de temps après le drame, le jeune couple arrive à Venise où l’homme (Donald Sutherland), architecte, est chargé de restaurer une église. Son épouse (Julie Christie) fait la connaissance de deux étranges sœurs dont l’une, aveugle, est médium. Tandis qu’une série de crimes sadiques ensanglante Venise, l’architecte aperçoit une silhouette de petite fille dans les dédales de la ville et croit reconnaître son enfant décédée. À l’époque de sa sortie, Ne vous retournez pas retint surtout l’attention en raison d’une scène d’amour jugée particulièrement réaliste. Entièrement construite sur des effets de montage, qui mélangent les étapes successives d’une relation sexuelle banale, c’est aujourd’hui l’élément le plus daté du film. En revanche, Ne vous retournez pas est passionnant parce qu’il mêle des influences d’horizons divers, sorte de synthèse entre un cinéma intellectuel et un autre plus trivial. Il apparaît clairement que Roeg, petit héritier de la modernité des années 60, voudrait être comparé à Alain Resnais dans son approche cinématographique du temps, du deuil et de la mémoire. D’un autre côté, le cinéaste britannique débarqué en Italie pour y réaliser un « giallo », sous-genre typiquement transalpin mêlant sadisme, fantastique et enquête policière, a sans doute vu les films de Mario Bava et quelques autres avant de commencer le sien. L’excellent film d’Aldo Lado Chi l’ha vista morire? tourné à Venise un an auparavant, présente ainsi de nombreuses similitudes avec Ne vous retournez pas. Pour rétablir l’équilibre, ou pour venger son collègue, Dario Argento ne se privera pas de piquer l’idée la plus tordue du film de Roeg, reproduite telle quelle dans Phenomena, en 1986. Le compositeur vénitien Pino Donaggio, futur collaborateur régulier de De Palma, livre une musique envoûtante qui n’a rien à envier à Morricone.

Ressortie en salles en version restaurée le mercredi 18 septembre, distribué par Potemkine Films.

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