On a souvent reproché à Sacha Guitry sa futilité, son indifférence voire son aveuglement au moment des événements tragiques et complexes qui frappèrent la France dans les années 30 et 40, tandis qu’il était au sommet de sa gloire sur les planches et au cinéma. Ce film vient démontrer le contraire. Il confirme en revanche que l’auteur était capable de transformer les situations les plus sérieuses, réelles ou inventées, en arguments de comédie. Ils étaient neuf célibataires (1939) est le douzième film de Guitry, mais le second seulement à être un scénario original sur un sujet non historique. Écrit et tourné rapidement, il prend sa source dans l’actualité politique de l’époque, abondamment relayée dans les journaux. En 1939, un décret est voté. Il limite les droits de résidence des étrangers en France, et permet leur expulsion si ces derniers sont en situation irrégulière. Un homme d’affaires escroc sur les bords (Guitry, bien sûr) profite de l’occasion pour organiser des mariages blancs afin de permettre à des femmes fortunées de diverses nationalités de rester sur le territoire. Les futurs maris, neuf vieux clochards célibataires heureux de gagner un peu d’argent, vont bientôt exiger davantage de leurs épouses et décident de se présenter à leur domicile. Dans un contexte politique inquiétant, le point de départ de cette comédie loufoque ne manque pas de gravité et de provocation. Considéré comme réactionnaire lorsqu’il entreprend de repeindre à son goût l’Histoire de France dans ses créations, Guitry se montre ici plus critique et insolent devant les relents de racisme et la peur du cosmopolitisme qui ressurgissent dans les partis nationalistes à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Libertaire, Guitry s’amuse aussi à brocarder l’institution du mariage et donne libre cours dans ce conte aux confins du « nonsense » à sa fantaisie avec un charme, une verve et une élégance qui n’appartiennent qu’à lui. C’est l’un des derniers films joyeux de Guitry, avant que les années d’occupation et son emprisonnement à la libération n’obscurcissement irrémédiablement son œuvre, et accentuent sa misanthropie et son cynisme.
Le principe adopté par Guitry n’est pas vraiment celui du film à sketches. Mais la forme chorale, panoramique, permet à Guitry d’englober la diversité de la société française et de rassembler autour de lui sa troupe, composée de comédiens excentriques. Chacun a le loisir de se livrer à un numéro extraordinaire (Saturnin Fabre !)
Ils étaient neuf célibataires est disponible à la vente en DVD et en Blu-ray en version restaurée, édité par Gaumont. Dans la même collection, un autre chef-d’œuvre de Guitry, Faisons un rêve.
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