Olivier Père

L’Ange noir de Jean-Claude Brisseau

L’Ange noir (1994) débute et se conclut sur un meurtre, répété dans un lieu et des circonstances similaires. Dans l’intervalle du film, le bourreau deviendra victime, et le récit se fermera comme un piège qui élimine un corps étranger. Dans la première séquence, on voit une femme abattre un homme de plusieurs balles dans le dos, dans une luxueuse demeure. Stéphanie Feuvrier appartient à la haute société bordelaise et s’arrange avec la complicité d’une amie pour faire croire à une tentative de viol, et ainsi légitimer son acte. C’est le début d’une enquête menée par un jeune avocat chargé de la défense de Stéphanie. Le spectateur, qui au départ en sait plus que lui, découvre en sa compagnie des fragments du passé de Stéphanie et des révélations sur sa vie qui éclairent d’une effrayante lueur les raisons de son crime. L’Ange noir, avec une surprenante Sylvie Vartan dans le rôle principal, est le grand film maudit de Jean-Claude Brisseau, incompris en son temps. Il apparaît aujourd’hui comme un sublime mélodrame post hollywoodien, où s’affirme la vision tourmentée – pour ne pas dire paranoïaque – du cinéaste de l’amour, du désir et de la corruption. Brisseau délaisse les quartiers modestes et la banlieue, décor de ses premiers films, pour décrire un monde de richesses et de secrets, pourri de l’intérieur. Le cinéaste ne cachait pas que ce monde renvoyait autant au milieu du cinéma français qu’à celui de la bourgeoisie provinciale. Brisseau injecte des éléments autobiographiques dans le personnage de Stéphanie, fille de concierge qui s’introduit dans un monde qui n’est pas le sien. Brisseau a bénéficié des moyens les plus importants, pour reconstituer l’atmosphère étouffante de la grande bourgeoise. Sa mise en scène renoue avec le cinéma américain des années 40 et 50, et en particulier Hitchcock, cinéaste de chevet de Brisseau. Les plans sur la nuque de Sylvie Vartan et son chignon blond évoquent ceux de Kim Novak dans Vertigo, observée par James Stewart avec une fascination comparable à celle de l’avocat interprété par Tchéky Karyo. L’Ange noir est librement inspiré de La Lettre de William Wyler (1940) et mêle à une critique implacable du monde du pouvoir et de l’argent les fantasmes cinéphiliques et érotiques d’un cinéaste qui sera de plus en plus hanté par son obsession de la jouissance féminine et des rapports entre sexe, mysticisme et lutte des classes.

 

L’Ange noir est disponible en combo DVD et Blu-ray dans la collection « Make my day » dirigée par Jean-Baptiste Thoret, chez Studiocanal.

 

 

Catégories : Actualités

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *