Olivier Père

 China Girl de Abel Ferrara  

ESC permet de revoir en Blu-ray ou en DVD, réunies dans un coffret ou à l’unité, trois des œuvres maîtresses de la première partie de la filmographie d’Abel Ferrara : L’Ange de la vengeance, New York, 2 heures du matin et China Girl.

China Girl, en 1987, marque le retour de Ferrara au cinéma et à sa ville, New York, après une escapade hollywoodienne en demi-teinte. China Girl transpose l’histoire de Roméo et Juliette – et donc également celle de West Side Story – dans le milieu des gangs de Little Italy et Chinatown. L’amour de deux adolescents est obstrué par le racisme entre les Italo-américains de Little Italy et les Chinois de Chinatown, voisins de quartier mais séparés par une haine féroce. Tout le film s’organise autour des questions du territoire et de la ligne franchie, mais aussi du conflit des générations dans chaque clan, qui déclenchent une spirale mortelle de provocations et de vengeance. Le cinéaste évacue les clichés hollywoodiens et filme son sujet dans un double souci de vérisme et de stylisation, tournant en décors naturels mais choisissant une mise en scène très sophistiquée et un travail symbolique sur la couleur. China Girl demeure le film le plus stylisé de Ferrara. Le cinéaste joue avec l’ombre et la lumière et organise une véritable mosaïque d’images et de sons qui nous fait passer sans transition du néo-noir au cinéma vérité, du western urbain au film d’horreur expressionniste. Avant de s’engager dans des voies plus funèbres et psychologiques, le cinéma de Ferrara est un cinéma électrique, survolté et nerveux, et les scènes de danse des deux jeunes amants renvoient aux nombreuses bagarres de rues, chorégraphies comme des ballets. Ferrara le romantique oppose l’énergie vitale des jeunes amoureux aux règles rigides établies par les sociétés criminelles qui régissent les deux communautés. Les deux amants de China Girl sont les seuls héros entièrement positifs de toute l’œuvre de Ferrara. Délestés de la moindre névrose, ils sont tournés vers le beau et le bien, c’est-à-dire l’amour et le mépris des préjugés raciaux. L’issue tragique du film n’en est que plus pessimiste. Ferrara, bien avant Nos Funérailles, dénonce les organisations familiales qui sacrifient leurs enfants à l’autel du crime et de l’argent. Avec China Girl, Ferrara se révèle un héritier direct de Samuel Fuller. Malgré les limites budgétaires qui leur sont imposées, les deux cinéastes sont parvenus, à deux époques différentes du cinéma américain, à mettre en scène des films audacieux et éminemment politiques. Ferrara et Fuller ont su aborder la question fondamentale du racisme dans des thrillers qui placent l’action au premier plan et qui n’ont rien d’œuvres à thèse. Le biographe de Ferrara, Brad Stevens, nous informe dans les suppléments du Blu-ray que le cinéaste voulait placer un extrait de J’ai vécu l’enfer de Corée de Fuller dans China Girl, lorsque le jeune homme regarde la télévision, mais que des problèmes de droits l’en ont empêché.
À l’époque de China Girl, Abel Ferrara est considéré comme un habile cinéaste de genre, spécialisé dans la violence urbaine et les récits mafieux. Il ne bénéficie pas encore du statut d’auteur qui lui sera accordé par la critique européenne avec Bad Lieutenant et Snake Eyes. Pourtant, China Girl porte déjà la marque d’un grand cinéaste en pleine possession de ses moyens. On y trouve même une vitesse, une gestion des effets et une efficacité dramatique qui vont progressivement s’émousser dans les films à venir, de plus en plus doloristes et introspectifs.

 

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