Olivier Père

New York, 2 heures du matin de Abel Ferrara  

ESC permet de revoir en blu-ray ou en DVD, réunies dans un coffret ou à l’unité, trois des œuvres maîtresses de la première partie de la filmographie d’Abel Ferrara : L’Ange de la vengeance, New York, 2 heures du matin et China Girl. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer L’Ange de la vengeance (1981), qui révéla internationalement le jeune cinéaste new-yorkais. 

New York, 2 heures du matin (Fear City) réalisé en 1984 est une nouvelle plongée dans les bas-fonds de la ville mais aussi de la psyché humaine. Ferrara et son fidèle scénariste Nicholas St. John adaptent les stéréotypes du film noir hollywoodien à la réalité de la 42ème rue. Ils font se croiser dans une narration nerveuse et stylisée qui évacue tout folklore un karatéka sadique, des strip-teaseuses, des patrons de cabaret, un ancien boxeur, des flics et des parrains de la mafia. New York, 2 heures du matin est la première expérience hollywoodienne de Ferrara, qui dirige pour la première fois des acteurs connus : Tom Berenger, Billy Dee Williams, Melanie Griffith… Malgré les apparences, la plus grande partie du film a été tournée à Los Angeles. Seuls quelques plans d’extérieurs furent tournés sur les lieux-même de l’action, pour conférer à l’ensemble une certaine véracité. Force est de constater que le spectateur n’y voit que du feu. Ferrara parvient à recréer l’atmosphère sordide et parfois cauchemardesque des quartiers chauds du New York du début des années 80. Le film est parsemé de références cinématographiques, de L’Homme tranquille de John Ford – le personnage incarné par Tom Berenger a tué accidentellement l’un de ses adversaires sur le ring – à M le maudit de Fritz Lang et son tueur en série. Ferrara suit le parcours d’un héros névrosé qui croise son Némésis en la personne d’un psychopathe obsédé par la pureté. Ce sont deux anges, l’un déchu, l’autre exterminateur qui hantent les rues de Manhattan, destinés à s’affronter dans un combat sans merci. L’ambition de Ferrara et de St. John dépasse le filon de la violence urbaine et les contingences cinéma d’exploitation. La suite de sa carrière permettra de vérifier que Ferrara, proche de l’underground à ses débuts, puis maître du néo film noir, est avant tout un scrutateur de l’âme humaine, obsédé par le Mal et la culpabilité.

La mésentente de Ferrara avec ses (mauvais) producteurs californiens atteindra son paroxysme quand le montage de New York, 2 heures du matin sera altéré jusqu’à l’incohérence afin d’éviter les foudres de la censure. La Twentieth Century Fox refusera de distribuer le film aux États-Unis, même dans sa version mutilée. Jugé trop choquant pour le studio en raison de scènes de nudité, de consommation de drogue et de violence, le film sera revendu à un petit distributeur indépendant et connaîtra une carrière confidentielle. Cette expérience amère éloignera Ferrara des plateaux de cinéma. Pendant trois ans le cinéaste trouvera refuge à la télévision, où il travaillera notamment pour Michael Mann sur des épisodes de Miami Vice et le pilote de Crime Story. Revoir aujourd’hui New York, 2 heures du matin permet de vérifier que le film n’a rien d’un pas de côté dans l’œuvre de Ferrara. Malgré ses accidents de production, il demeure un thriller remarquablement mise en scène et interprété, dont chaque plan porte l’empreinte de son auteur.

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