Olivier Père

Cannes 2019 Jour 3 : Atlantique de Mati Diop (Compétition) 

On aura souvent lu ou entendu, en ce début de festival, que les zombies sont partout. L’infiltration des genres et sous-genres les moins nobles dans le prestigieux festival de Cannes, et par la même occasion dans le cinéma d’auteur international ne date pourtant pas d’hier. C’est devenu une rengaine, une constatation vide de sens. Quel rapport entre la pochade sinistre et cynique de Jarmusch et les transes acides ou ouatées, réfractaires au moindre formatage et ouvertes sur les territoires du rêve de Kleber Mendonça Filho, Bertrand Bonello ou Mati Diop ? Atlantique est la première grande révélation du Festival. On connaissait déjà le talent de la jeune réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, artiste aux multiples facettes remarquée pour son moyen métrage Mille Soleils en 2013. Pour son premier long métrage, Mati Diop a choisi de développer l’un de ses court métrages (Atlantiques, 2010) et de raconter l’histoire d’Ada, 17 ans, et de ses amies, restées seules entre elles dans Dakar désertée par les hommes. Tous ont pris la mer pour un avenir meilleur. Mais les femmes du quartier doivent bientôt faire face au retour des fantômes de l’océan Atlantique. Fable allégorique sur la mondialisation, la tragédie des migrants et d’une jeunesse sans avenir, Atlantique brasse plusieurs références à la mythologie mais invente aussi ses propres légendes. Les jeunes filles sont possédées par les garçons partis en mer et accomplissent leur vengeance, transformées en créatures aveugles qui brûlent les biens d’un entrepreneur corrompu et viennent réclamer les salaires des ouvriers exploités. Mati Diop refuse la passivité de l’attente et aborde la possession des corps féminins comme une première et ultime rencontre charnelle entre les deux sexes, où la croisade punitive a remplacé l’insouciance du désir.

Atlantique emprunte au vaudou et à la magie mais se tient à l’écart du moindre folklore. Le fantastique n’est jamais plaqué à des éléments de fable sociale. Il surgit de l’observation pure du réel, et du regard de Mati Diop sur son sujet, les personnages et les lieux qu’elle filme. La ville fantôme, le chantier d’une immense tour ultra-moderne, les feux dans la nuit offrent d’emblée une atmosphère oppressante et surnaturelle. Atlantique est un film d’ambiances où l’eau, la poussière, les flammes permettent à la cinéaste de composer une œuvre poétique d’une grande puissance visuelle. La texture de l’image, le travail sur le son révèlent la sensibilité et la maîtrise d’une artiste plasticienne. Cela n’empêche heureusement pas Mati Diop de faire exister ses personnages et de rendre émouvante l’histoire d’amour impossible entre les deux jeunes dakarois. Tous les interprètes, pour la plupart débutants et non professionnels, sont justes et apportent chair et âme à ce lamento qui montre aussi la victoire d’une adolescente devenue femme et la conquête de sa liberté.

    

 

Catégories : Actualités · Coproductions

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