ARTE diffuse Les Demoiselles de Rochefort (1967) mardi 25 décembre à 20h55. Le film sera également disponible gratuitement pendant trente jours en télévision de rattrapage sur le site d’ARTE.
C’est le film du bonheur, le seul totalement joyeux de Jacques Demy. Les Demoiselles de Rochefort est en effet très différent des Parapluies de Cherbourg, aussi léger et optimiste que ces derniers étaient tragiques, peut-être conçus comme un antidote à la tristesse du chef-d’œuvre de Demy. C’est aussi l’unique long métrage où le cinéaste s’essaye à la comédie musicale classique, sur le modèle hollywoodien. Les Demoiselles de Rochefort respecte scrupuleusement les conventions du genre, fait alterner les plages de dialogues, les chansons et les chorégraphies. À l’époque des Demoiselles de Rochefort, certains cinéastes américains avaient déjà libéré la comédie musicale du studio, en tournant dans des décors réels, par exemple Stanley Donen et Gene Kelly avec Un jour à New York en 1949, Robert Wise et Jerome Robbins avec West Side Story en 1961. Demy choisit la ville de Rochefort pour son urbanisme géométrique, propice à la mise en scène des ballets en plein air mais aussi des chassés-croisés incessants du scénario. Demy repeint le monde aux couleurs du rêve, et la ville entière se transforme en plateau de cinéma. Demy définissait volontiers Les Demoiselles de Rochefort comme un nouveau chapitre de ses « scènes de la vie provinciale », après Lola et Les Parapluies de Cherbourg. Le grand amour, une fois de plus, est au cœur du récit. Tous les personnages le cherchent depuis toujours ou l’ont perdu. Demy élabore un canevas raffiné où se croisent les hommes et les femmes, plusieurs générations d’amants et d’amis. Le film est un feu d’artifice, une farandole de couleurs, de sentiments, de paroles et de musiques. Les jeux de l’amour et du hasard, présents dans tous les films de Demy, sont ici déclinés sur un mode ludique et heureux. En effet, ni la guerre, ni les contingences sociales ne seront capables de briser les amours naissants ou les retrouvailles. Demy exalte la sensualité des corps, mais aussi le plaisir des mots, des dialogues poétiques, des répliques triviales et des calembours (le fameux « je suis en perm’ à Nantes » de Maxence). C’est le versant solaire, ici à son zénith, du cinéma de Demy. Le cinéaste délivre dans Les Demoiselles de Rochefort un éloge du bonheur, du plaisir et de l’amour. On y sent la joie communicative de faire un film avec une troupe, une véritable famille de cinéma en état de grâce ; les sœurs Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, Danielle Darrieux, Michel Piccoli, les invités américains Gene Kelly et George Chakiris, et l’angélique Jacques Perrin, futur prince charmant de Peau d’Anne. Sans oublier les principaux artisans de cette euphorisante réussite, le directeur de la photographie Ghislain Cloquet, le décorateur Bernard Evein et le compositeur Michel Legrand. Dans cet univers multicolore, Demy n’oublie pas le noir, avec le personnage de Subtil Dutrouz, paisible retraité qui se révélera l’assassin de la chanteuse Lola-Lola (allusion à l’héroïne de Sternberg, mais aussi à la Lola de Nantes.) Crime atroce (il l’a découpé en morceaux) mais aussi crime passionnel (elle se refusait à lui depuis des années), ce fait-divers s’intègre dans la ronde des sentiments amoureux du film où, comme chez Renoir, « tout le monde a ses raisons ».
Texte extrait du livre « Jacques Demy » (éditions de La Martinière, 2010).
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