Olivier Père

L’Enfant secret de Philippe Garrel

L’Enfant secret, sorti en France en 1982, est le film qui marque le retour de Philippe Garrel à la fiction au tournant des années 80. Cela ne signifie pas pour autant un renoncement à la poésie et une soumission aux standards du cinéma narratif. Comme la période expérimentale qui l’a précédée, ce retour à la fiction est intimement lié à la vie de Garrel et à son histoire d’amour avec la chanteuse Nico, sa compagne et sa muse pendant une dizaine d’années.

Les années 70 étaient une période mythique, avec des poèmes filmés qui proposaient une transposition limpide des émotions et des états psychiques vécus avec Nico, entre l’extase, la drogue et les béances. La décennie suivante marquera pour Garrel le choix d’un cinéma plus classique voué au souvenir, un peu moins underground mais toujours dans les marges de la production commerciale. Garrel filme désormais des histoires d’amour, de drogue et de couples, avec un personnage masculin qui lui ressemble, et des actrices-modèles empruntées aux cinéastes aimés – toujours l’idée de sainte famille. L’Enfant secret inaugure une série de films, jusqu’à J’entends plus la guitare (1991) qui nous apprend la mort de Nico, survenue en 1988 à Ibiza.

L’Enfant secret, l’un des plus beaux films de Garrel, évoque l’histoire d’une femme, en proie à la drogue, qui élève seule son fils illégitime. Un réalisateur underground, qui traverse une grave crise personnelle – il est interné en asile psychiatrique, où il subit des électrochocs, est amoureux d’elle. Le film fait directement allusion à des épisodes douloureux de la vie de Garrel, et à sa rencontre avec Nico, dont le fils Ari Boulogne ne fut jamais reconnu par Alain Delon, bien qu’élevé par la mère de ce dernier. Sur une trame narrative assez distendue, Garrel met en scène des instants de grâce, des fulgurances poétiques où son film rejoint le cinéma des origines, les avant-gardes muettes et aussi les mélodrames de Chaplin, ouvertement cité lors d’une scène. « Enfant secret du cinéma » comme le définissait Daney, Garrel se rapproche de la fiction mais demeure ce peintre qui se sert de la pellicule pour composer des tableaux vivants, avec une prédilection pour les visages et les corps féminins. Le noir et blanc sublime des espaces quotidiens et les rues de Paris arpentées par les amants et le petit garçon. Anne Wiazemski, dont c’est la plus belle apparition après sa découverte dans Au hasard Balthazar de Robert Bresson, n’a jamais été aussi bouleversante. A la splendeur de visions fugaces arrachées à la précarité du tournage s’ajoute la musique lancinante et mélancolique de Faton Cahen.

 

L’Enfant secret : Blu-ray + DVD avec un livret de 44 pages contenant des textes de Serge Daney, Philippe Garrel, Thomas Lescure.

Disponible à la vente aux éditions Re:voir.

 

 

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