Découverte tardive et émerveillée de ce film de Max Ophuls datant de 1939. Il s’agit de l’un des meilleurs titres du réalisateur d’origine allemande réalisé lors de sa parenthèse française après l’incendie du Reichstag, et avant son départ vers les États-Unis. Sans lendemain contient des éléments que l’on retrouvera dans les chefs-d’œuvre d’Ophuls des années 50 : description fascinée du monde du spectacle et de la nuit, portrait d’une femme victime de la domination des hommes et du poids des conventions sociales. Ainsi, tout en s’inscrivant dans le genre du mélodrame et du réalisme poétique alors en vogue dans le cinéma français, Ophuls s’en détache par une approche très personnelle des thèmes abordés mais aussi de l’univers visuel et de la mise en scène de son film. Sans lendemain est l’histoire d’une femme admirable acculée au mensonge et au sacrifice pour préserver intact l’amour d’un ancien amant retrouvé par hasard et assurer à son jeune fils un avenir radieux. Tombée en disgrâce après la mort de son mari, un escroc acoquiné avec des gangsters, une femme du monde est devenue danseuse nue dans un cabaret parisien. Elle élève seule son petit garçon qu’elle couve de son affection maternelle. Lorsqu’elle croise son grand amour abandonné de force au Canada une dizaine d’années auparavant, elle est contrainte de louer dans l’urgence un appartement luxueux pour lui cacher sa déchéance financière. Pour cela, elle doit renouer avec le chef de bande responsable de la mort de son mari, qui accepte de lui prêter de l’argent à condition qu’elle accepte de travailler – c’est-à-dire de se prostituer – pour lui. A partir d’une intrigue qui aurait pu donner naissance à un mélo sordide, Ophuls dresse un portrait de femme d’une sophistication exceptionnelle. Chez Ophuls le désespoir se pare toujours d’une grande élégance à la fois morale et esthétique. La virtuosité des mouvements de caméra qui accompagnent les personnages dans leurs déplacements, dans les décors exigus du cabaret ou dans les rues parisiennes reconstituées en studio permettent d’affirmer que le style inimitable d’Ophuls était déjà parfaitement réglé dans les années 30. L’idée de la femme prisonnière du regard et de la concupiscence des hommes, sur la scène d’un spectacle comme dans ses rapports de force à la ville, présente dans Sans lendemain, sera au cœur du dernier film d’Ophuls, Lola Montes. Sans lendemain bénéficie des images extraordinaires d’Eugen Schüfftan, génial directeur de la photographie qui travailla pour Fritz Lang, Robert Siodmak ou Marcel Carné, et signa la photo de trois films français d’Ophuls.
Les éclairages irréalistes de Schüfftan, qui multipliait les sources de lumière à des fins expressives et dramatiques, accentue le caractère onirique du film d’Ophuls, qui plonge son héroïne dans les méandres du souvenir – Sans lendemain inclue plusieurs retours en arrière – et de la rêverie. Sans lendemain rejoint d’autres grands films français de la même époque par son pessimisme, mais substitue au poids de la fatalité celui du sort réservé aux femmes qui sortent du droit chemin dans un société misogyne et conservatrice. On ne peut s’empêcher de rapprocher Ophuls de Mizoguchi. Sans lendemain rappelle l’amour des femmes de Ophuls, son regard bienveillant sur des héroïnes frappées du sceau de l’infamie et du déshonneur, mais qui parviennent à conserver leur dignité. Sans lendemain offre à Edwige Feuillère un très beau rôle, et la grande actrice se jette sans retenue dans un interprétation pleine d’émotion et de courage.
Sans lendemain est édité en blu-ray chez Gaumont, dans une belle version restaurée, avec deux autres films de Max Ophuls : Yoshiwara (1937) et De Mayerling à Sarajevo (1940).
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