Olivier Père

Un homme à abattre de Philippe Condroyer

Cette nouvelle édition blu-ray (chez Gaumont) permet de redécouvrir un long métrage disparu des radars depuis sa sortie en 1967, qui se solda par un échec public. Un homme à abattre de Philippe Condroyer est un film étrange qui échappe aux codes du polar ou de l’espionnage, même s’il s’apparente, par son histoire, à un thriller politique. Le film s’emploie à décrire la traque par un mystérieux groupe d’hommes d’un criminel de guerre nazi réfugié à Barcelone sous une fausse identité. Une fois repéré dans la capitale catalane, l’ancien officier SS fait l’objet d’une surveillance minutieuse et discrète. On comprend vite que le dessein de ces espions est la vengeance, avec le projet de l’exécuter sans autre forme de jugement. En attendant, le début du film pourrait s’intituler « identification d’un homme », avec la description méticuleuse d’une journée modèle et les moindres faits et gestes quotidiens d’un homme seul et sans histoires dans un immeuble moderne. C’est la partie la plus fascinante, entre Georges Perec et Conversation secrète de Coppola, où des voyeurs embusqués enregistrent les moindres détails de leur sujet d’observation, sans qu’aucune trace de son passé criminel ne ressurgisse de la banalité de son existence. Ensuite le film organise la préparation puis l’échec lamentable de la tentative d’assassinat de l’ex nazi, entrainé dans un guet-apens. Le style comportementaliste et glacé du film de Condroyer évoque le cinéma de Bresson et de ses héritiers. Davantage qu’à Melville, c’est aux premiers films d’Alain Cavalier qu’on pense, avec ce mélange de stylisation abstraite – on ne reconnaît rien de Barcelone dans les rues et les foules anonymes des plans de ville – de distanciation, de dandysme et de fétichisme. Toujours à l’aise dans les ambiances troubles, Trintignant incarne à la perfection un agent cynique, comme frappé de frigidité émotionnelle. On ne sait pas grand chose du discret Philippe Condroyer (1927-2017) qui avait débuté sa carrière cinématographique avec une adaptation live d’Hergé – Tintin et les oranges bleues et qui l’a conclu avec La Coupe à dix francs, étude sociologique sur la jeunesse ouvrière dans la France des années 70, avant de réaliser des films pour la télévision. Entre ce grand écart un seul film, hautement atypique, Un homme à abattre, polar conceptuel qui annonce avec dix ans d’avance certains thrillers métaphysiques américains et italiens, où les enquêtes politiques ou policières se doublaient d’une réflexion sur la manipulation des images et le médium cinématographique. Seul bémol, l’introduction d’un personnage féminin improbable – une voisine avec laquelle Trintignant a une liaison – assez hors sujet, qui vient momentanément rompre la formidable et inquiétante tension qui porte le film de son générique de début à sa dernière séquence.

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