Au-delà de la polémique Netflix qui a entaché la présentation du film en compétition à Cannes (sortira, sortira pas en salles ? Finalement non) Okja marque le retour tant attendu à la mise en scène de Bong Joon-ho, l’un des meilleurs cinéastes en activité, quatre après Snowpiercer, le transperceneige. Okja constitue pour Bong Joon-ho une nouvelle incursion dans la science-fiction, et le film de monstre. Okja est une fable d’anticipation à message écologique sur le thème des scandales agro-alimentaires. Comme dans The Host, Bong Joon-ho donne vie à une créature inédite, née de mutations génétiques au cœur d’un projet expérimental d’une multinationale – calquée sur le modèle guère vertueux de Monsanto – qui cherche à éradiquer la faim dans le monde en inventant une nouvelle génération de bétail. Des super cochons génétiquement modifiés et connectés électroniquement ont ainsi été élevés aux quatre coins du monde afin de préparer le lancement du projet. Pendant dix années idylliques, la jeune Mija s’est occupée sans relâche d’Okja, une énorme porcine gentille et intelligente, à laquelle elle a tenu compagnie au beau milieu des montagnes de Corée du Sud. Elevée en liberté et entourée de l’amour de la petite fille et de son grand-père, Okja s’est parfaitement développée et se révèle un merveilleux spécimen de super truie. Lorsque la multinationale familiale décide de récupérer Okja et transporte l’animal jusqu’à New York où Lucy Mirando, la directrice narcissique et égocentrique de l’entreprise, prépare sa campagne médiatique, Mija se lance dans une véritable mission de sauvetage, aidée malgré elle par un groupe d’activistes. Le monstre de The Host était une créature maladroite et féroce, sorte de têtard géant issu de la pollution (américaine) du fleuve Han qui traverse Séoul. Okja est un animal mutant bienveillant, intelligent et sensible qui va à l’encontre de tous les monstres cinématographiques créés avant lui. Okja est un monstre victime, qui devra son salut à une petite fille, au terme d’une lutte sans merci contre les sinistres agissements d’une folle (Tilda Swinton, dans un double rôle transformiste) à la tête d’une multinationale. Bong Joon-ho humanise un monstre et transforme les humains en monstres ou en pantins ridicules. Précisons que ces humains sont Américains et que le film délivre une violente charge anticapitaliste. Le cinéaste prolonge une veine grotesque qui existe dans tous ses films mais qu’il avait déjà exacerbée dans Snowpiercer, adapté d’une bande dessinée. On retrouve une esthétique manga et carnavalesque dans Okja, satire qui lorgne du côté du Docteur Folamour de Kubrick, avec une galerie de personnages au comportement hystérique et aux accoutrement ridicules. C’est là où le bât blesse. Bong Joon-ho semble moins à l’aise que dans Snowpiercer où il était parvenu à confiner ses acteurs et son action dans l’espace unique d’un train futuriste. Okja s’éparpille un peu et finit par lasser, surtout que les gesticulations de Jake Gyllenhaal survolté et clownesque (n’est pas Peter Sellers qui veut) et Paul Dano agacent plus qu’elles n’amusent. Tilda Swinton et la petite Mija (interprétée par Ahn Seo-hyeon) sont en revanche géniales. Bong Joon-ho sidère une fois de plus par son habituelle virtuosité, avec des scènes incroyables qui plongent le spectateur au cœur d’actions échevelées – le saccage d’un centre commercial, une course poursuite en camion. Le film fourmille d’idées visuelles et d’instants dramatiques extraordinaires. Mais Okja est plus inégal que les longs métrages précédents de Bong, sans doute parce qu’il maîtrise moins bien les séquences censées se dérouler à New York, très fouillis, que les majestueuses séquences d’ouverture et de clôture situées dans la montagne coréenne, avec des plans de nature qui évoquent la poésie et la philosophie animiste des chefs-d’œuvre de Hayao Miyazaki. Malgré son gentil monstre et ses méchants d’opérette Okja n’est pas un film pour enfants. Bong Joon-ho fait traverser un véritable calvaire à sa super truie, martyrisée et même violée par un énorme mutant dans une séquence traumatisante. A Cannes il semble que personne n’ait été dérangé par la fin du film, qui établit une comparaison entre de gigantesques usines où la nouvelle race de super cochons est abattue en masse pour fabriquer de la charcuterie industrielle et les camps d’extermination nazis. Nous si. L’anthropomorphisme et l’humanisation d’animaux, numériques ou non, pose problème. Okja n’échappe pas à cette ambigüité, malgré la dimension allégorique de la séquence. Il y a de nombreuses raisons d’admirer Okja, et quelques-unes d’être déçu. Le moins bon film de Bong Joon-ho reste très largement supérieur à tous les films de science-fiction ou les blockbusters produits à la chaîne par les studios hollywoodiens, ne serait-ce que par l’originalité de son sujet et sa virulence politique. Mais il est peut-être temps que Bong Joon-ho rentre chez lui, en Corée, réaliser des films qui lui correspondent davantage et lui permettent d’exprimer avec plus d’évidence et moins de contraintes son immense talent.
Okja sera disponible sur Netflix le 28 juin.
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