ARTE diffuse L’homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance, 1962) de John Ford lundi 5 juin à 20h50. Ce chef-d’œuvre absolu constitue non seulement l’un des nombreux sommets de la carrière de Ford, mais aussi ses adieux au western. La contribution de Ford à La Conquête de l’ouest et Les Cheyennes réalisé deux ans plus tard ne possèdent pas la même valeur testamentaire. L’homme qui tua Liberty Valance s’intéresse aux thèmes de la violence, de la loi et de la communauté, centraux dans la filmographie de Ford. L’histoire propose une métaphore de la civilisation des Etats-Unis, avec l’éradication progressive de la sauvagerie et de l’individualisme au profit du groupe et de ses représentants, qui devront eux aussi utiliser la force pour imposer un état de droit. John Wayne et James Stewart incarnent deux types de héros fordiens : l’aventurier romantique et solitaire, maître de l’action, maladroit dans les relations sociales, et l’intellectuel qui va mettre ses connaissances et ses talents oratoires au service de la communauté. Les questions politiques au cœur de L’homme qui tua Liberty Valance décident de sa forme. C’est un western en huis-clos, dont les scènes charnière se déroulent dans une cuisine, une salle de restaurant ou une chambre. La parole y joue un rôle primordial. Le cinéaste qui sublima les paysages grandioses de Monument Valley préfère ici confiner ses personnages dans des décors de studio. L’utilisation du noir et blanc renforce la sobriété du film, à la facture presque télévisuelle. Au début des années 60 Hitchcock procédera de la même façon à une épure de son art avec Psychose. L’homme qui tua Liberty Valance est aussi le film du vieillissement, dans lequel Ford confie à ses acteurs préférés des rôles que ne correspondent plus vraiment à leurs âges, sans doute pour le plaisir de tourner une dernière fois avec eux. Les corps de Wayne et Stewart inscrivent d’une manière émouvante le passage du temps dans film. Il y a bien sûr la construction en flash-back, mais aussi le souvenir des rôles et des films qu’ils charrient avec eux. Quant à la fameuse phrase du journaliste « imprimez la légende » que tout le monde répète au sujet de L’homme qui tua Liberty Valance, elle reflète la complexité et l’ambigüité du film, et la distance critique du cinéaste devant toute forme de triomphalisme. C’est le peuple américain qui a imprimé la légende, mais pas Ford dans ses films, qui montre ici que le vrai héros n’est pas celui que l’on croit, en modifiant la signification d’une scène selon deux perspectives différentes.
La soirée du lundi 5 juin sur ARTE permettra de revoir à la suite deux films immenses réalisés par un maître et de son disciple le plus direct : L’homme qui tua Liberty Valance de John Wayne et Shock Corridor de Samuel Fuller. Une année seulement sépare les films qui symbolisent pourtant la fin d’un art classique (Ford, plus mélancolique que jamais) et les prémisses d’un cinéma baroque, convulsif (Fuller, cinéaste de la folie) avec un point commun, essentiel : ausculter l’histoire de l’Amérique et son rapport à la violence.
Laisser un commentaire