La curiosité intellectuelle de Barbet Schroeder est sans limites. En témoigne une filmographie où le cinéaste s’est intéressé à tous les états extrêmes de l’humain, avec un regard d’anthropologue quand il faisait des fictions, et de cinéaste nourri aux classiques hollywoodiens quand il signait des documentaires. Barbet Schroeder a présenté Le Vénérable W. comme le film le plus fou qu’il ait jamais réalisé. Ce qui met la barre assez haut venant de la part d’un globe-trotter qui a posé sa caméra pour observer à peu près tous les tabous, transgressions, pathologies et violences recensés sur les quatre continents, toujours dans le présent du tournage. Le Vénérable W. n’est rien d’autre que la dernière partie de sa « trilogie sur le Mal », après un documentaire consacré au dictateur ougandais Idi Amin Dada en 1974 et un autre sur Jacques Vergès et plus généralement la question du terrorisme, L’Avocat de la terreur (2007). A chaque fois il s’agit de donner la parole à un homme qui incarne ou diffuse des doctrines de mort et de haine, la négation de l’humanisme. Le Vénérable W. dresse le portrait de Ashin Wirathu, moine bouddhiste qui détourne le message de sa religion pour stigmatiser la communauté musulmane en Birmanie et militer pour un boycott économique et des lois discriminatoires contre les Rohingyas, musulmans venus du Bangladesh et de confession sunnite. Lors de prêches à travers le pays, devant des foules galvanisées, ses paroles haineuses exploitent les peurs des birmans, saisissent l’occasion de fait-divers ou de tensions ethniques pour déclencher des explosions de violence, des massacres de populations et la destruction de villages entiers. Islamophobe, raciste, nationaliste, Wirathu injecte avec une morgue terrifiante le poison de la haine et de l’intolérance dans le peuple birman et le bouddhisme. Cette religion sans dieu et profondément pacifique est elle aussi rattrapée par le fanatisme violent qui a contaminé d’autres croyances religieuses à un moment donné de leur histoire. Schroeder s’approche d’un monstre, d’un salaud radical et lui donne la parole, avec une technique de mise en confiance dans laquelle il est passé maître. Il le contredit et dévoile ses mensonges et manipulations par la force du montage et de témoignages des moines ou de spécialistes de la région. Barbet Schroeder donne un nouveau visage au Mal, tel qu’il fut incarné par Hitler et d’autres chefs sanguinaires au cours du XXème siècle. Le Vénérable W. est glaçant et salutaire, c’est aussi l’un des nombreux films de ce Festival de Cannes, tous genres confondus, à décrire un état de chaos et un monde au bord de l’apocalypse.
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