Olivier Père

Touchez pas au grisbi de Jacques Becker

En attendant une nouvelle rétrospective de tous ses films à la Cinémathèque française en avril, avec aussi une soirée spéciale sur ARTE (Le Trou et Falbalas), Studiocanal nous permet de revoir un grand classique de Jacques Becker, Touchez pas au grisbi (1954) édité pour la première fois en blu-ray.

Touchez pas au grisbi ressortira également en salles le 19 avril, avec deux autres films de Jacques Becker, Casque d’or et Le Trou, en version restaurée 4K, distribués par Les Acacias.

Max et Riton, deux truands amis de longue date, organisent un hold-up qui réussit parfaitement, mais Riton commet l’imprudence d’en parler à sa jeune maîtresse et Max devra une fois de plus voler au secours de son ami. Après Falbalas, Edouard et Caroline, Casque d’or et avant Le Trou Jacques Becker signe un nouveau chef-d’œuvre. Touchez pas au grisbi est sans doute le prototype du film policier français, dont le succès engendrera de nombreuses déclinaisons, toujours populaires dans les années 50 et 60. Superbe interprétation de Jean Gabin dans son meilleur film d’après-guerre avec French Cancan. Touchez pas au grisbi marque la renaissance de la gloire de l’acteur dans le cœur des Français et dans les cimes du box office après une décennie d’éclipse causée par son départ à Hollywood et son engagement dans les Forces françaises libres. Rentré au pays en 1946 il avait peiné à renouer avec le succès et à retrouver des rôles à sa mesure après les grands films des années 30 signés Renoir, Duvivier, Grémillon, Carné… Le triomphe de Touchez pas au grisbi installera pour longtemps Gabin dans des rôles de gangsters vieillissants, qu’ils soient repentis, chefs de bande ou confrontés à une nouvelle génération de voyous et aux nouvelles règles du milieu.

Mais le film de Becker n’est pas un simple véhicule pour la plus grande star française, ni un simple polar. Touchez pas au grisbi illustre à la perfection les thèmes et les ambiances du film noir mais se révèle aussi une très émouvante méditation sur la vieillesse, la fatigue, la solitude et l’amitié. On y retrouve aussi l’humour de Becker et son amour pour les jolies femmes, avec les nombreuses conquêtes de Max (Gabin), éternel séducteur que n’assagit pas le poids des années. Une fois de plus la comparaison entre Becker et Hawks est rendue possible par l’art du cinéaste français, très influencé par le cinéma américain et adepte d’une mise en scène à la précision et à la sobriété magnifiques.

Contrairement aux nombreux films qu’il va inspirer Touchez pas au grisbi ne se complait pas dans le folklore de la pègre parisienne, malgré l’usage de l’argot cher au romancier Albert Simonin qui participe à l’adaptation de son livre, premier volet d’une trilogie consacrée au truand Max. Becker ne s’intéresse pas au pittoresque, limite autant qu’il peut les dialogues et l’action, mais enregistre avec sobriété des tranches de vie, des petits détails quotidiens, s’absente de l’efficacité du récit pour accorder davantage d’importance aux personnages et aux acteurs qui les incarnent – voir la mythique séquence où Max et Riton, planqués dans un appartement pour échapper à une bande rivale, mangent du foie gras sur des biscottes avant de se mettre en pyjamas et se brosser les dents.

P.S. : toute première apparition à l’écran de Lino Ventura, ancien lutteur reconverti avec beaucoup de naturel dans le métier d’acteur.

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