Olivier Père

Compartiment tueurs et Un homme de trop de Costa-Gavras

L’air de rien, Costa-Gavras a bousculé le cinéma français des années 60 en y insufflant une inspiration nouvelle, nourrie à la fois par un savoir-faire hérité des maîtres anciens (Clouzot, Duvivier, Clément) et l’insolence de la jeunesse. Ni « cinéma de papa » ni « nouvelle vague », Compartiment tueurs et Un homme de trop sentent le désir de Costa-Gavras de mettre son talent de conteur et de technicien au service du cinéma de genre (polar, film de guerre), un peu à la manière de Philippe de Broca dans le registre de la comédie. Ce phantasme d’un cinéma de genre « à l’américaine » perdure encore aujourd’hui en France. Sauf que Compartiment tueurs et Un homme de trop sont des réussites dont les qualités et les caractéristiques se retrouveront dans les films dossiers et les thrillers politiques ultérieurs de Costa-Gavras, comme Z, L’Aveu ou Etat de siège.

Compartiment tueurs (1965) est l’adaptation du premier roman policier de Jean-Baptiste Rossi, publié en 1962 sous le pseudonyme de Sébastien Japrisot. Le film de Costa-Gavras respecte les règles du « whodunit » : une enquête policière permet aux spectateurs de douter de l’innocence de plusieurs personnages, jusqu’à la révélation surprise du véritable criminel. Mais le déroulement de l’intrigue est anticonformiste, avec l’insertion de deux chapitres en voix-off dédiés à deux des voyageurs du wagon couchette, suspects potentiels et figures pathétiques auxquels le film s’intéresse particulièrement. Ces digressions constitueraient presque deux courts métrages indépendants à l’intérieur du récit, sur le thème de la solitude, de la frustration sexuelle et du dégoût de soi, et offrent à Simone Signoret et surtout Michel Piccoli, hallucinant, l’opportunité de performances mémorables. Mené à un rythme trépidant, truffé d’humour et de trouvailles visuelles qui dénotent avec la routine du polar français, Compartiment tueurs ouvre une troisième voie qui l’éloigne autant du film noir américain que de la « Qualité française ». Avec son Cinémascope spectaculaire, son noir et blanc contrasté, sa gestion virtuose d’espaces confinés où s’entassent acteurs et objets, ses déformations visuelles, ses images mentales, le film de Costa-Gavras évoque le baroquisme de Welles période européenne. Il n’est pas non plus impossible d’envisager Compartiment tueurs comme un cousin français du « giallo » à l’italienne, ces films criminels retors mettant en scène des machinations perverses et des meurtres brutaux. Après Mario Bava et avant Dario Argento et consorts, Compartiment tueurs possède des points communs avec le « giallo », tels que l’humour noir et la virtuosité formelle. Cette silhouette sanglée dans un manteau de cuir noir, ce tueur aux méthodes brutales, ces gros plans en inserts et ces éclairs de violence surréelle dans la grisaille urbaine ont dû taper dans l’œil du critique et cinéphile Dario Argento. Sous ses aspects d’exercice de style survolté Compartiment tueurs laisse apercevoir des préoccupations politiques, à peine voilées par la censure gaulliste et les conventions du genre. L’identité de(s) criminel(s) n’est pas fortuite et renvoie aux fantômes du colonialisme et du fascisme dans la société française.

 

 

 

Un homme de trop (1967) est l’adaptation d’un roman partiellement autobiographique de Jean-Pierre Chabrol sur un maquis des Cévennes pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce contexte historique offre à Costa-Gavras l’occasion de réaliser un vrai film d’aventures, dans des paysages naturels grandioses. La beauté de la nature, celle des acteurs aussi, et les moyens mis à la disposition du cinéaste n’ont rien à envier aux superproductions hollywoodiennes de l’époque. Mais Un homme de trop n’en devient pas pour autant une simple imitation des films de commandos tels que Les Canons de Navarone réalisés à la chaine en Europe dans les années 60. A la suite de Compartiment tueurs s’y affirme le style de Costa-Gavras, son goût pour les ensembles d’acteurs réunis autour d’une histoire forte, les mouvements complexes qui embrassent plusieurs actions simultanées, la vitesse du récit.

Le film montre le maquis comme un vaste terrain de jeux pour de jeunes hommes avides d’action et de liberté. Il écorne en cela le mythe officiel de la Résistance tel qu’il avait été érigé par le gaullisme après-guerre, et illustré au cinéma par Paris brûle-t-il ? un an plus tôt. Le public de l’époque n’était peut-être pas disposé à voir le maquis des Cévennes filmé comme un western. Costa-Gavras n’évacue pas pour autant l’idéologie.

Un homme de trop pose la question du non engagement en temps de guerre, à travers le personnage ambigu interprété par Piccoli, libéré par erreur par un groupe de résistants. Le dernier plan du film illustre l’idée d’une position intenable, de l’impasse intellectuelle et morale où conduit l’indifférence ou le refus à participer au combat contre le nazisme.

 

Un homme de trop est diffusé sur ARTE lundi 13 mars à 20h50.

Compartiment tueurs est diffusé sur ARTE mercredi 15 mars à 20h55.

Les deux films sont proposés en version restaurée. Ils seront tous les deux disponibles en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7.

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