ARTE diffuse Irma Vep (1996) de Olivier Assayas mercredi 21 décembre à 22h55. Le film sera également disponible en télévision de rattrapage sur ARTE+7, pendant sept jours.
Revoir Irma Vep aujourd’hui permet d’en apprécier les résonnances avec Sils Maria et Personal Shopper. Au milieu des années 90 Olivier Assayas s’affranchit des pesanteurs et des barrières de l’auteurisme français pour expérimenter une pratique nouvelle du cinéma, qui correspond à ses désirs, ses aspirations et sa trajectoire personnelle. Davantage que de fusion il s’agit dans Irma Vep de juxtaposition d’éléments, d’images disparates, hybrides : cinéma muet, cinéma militant, cinéma abstrait, cinéma d’arts martiaux… Le film orchestre la rencontre surréaliste entre l’acteur fétiche de la Nouvelle Vague, Jean-Pierre Léaud – en cinéaste maudit et dépressif – et une superstar du cinéma de Hong Kong, Maggie Cheung (photo en tête de texte). De ce chaos filmique, assemblé avec malice, naît un film sur la grâce, où l’art n’imite plus la vie : c’est la vie qui se transforme en art. Assayas prend comme prétexte l’argument éminemment postmoderne du film dans le film, du récit du tournage d’un remake des Vampires de Louis Feuillade par une petite société de production française pour questionner les processus de création qui débordent du cadre du cinéma, se métamorphosent en performance, en happening privé. Dans une séquence stupéfiante Maggie Cheung s’empare du personnage de Musidora et se livre à un acte gratuit d’une folle audace, un vol de bijoux dans son hôtel, loin des regards et des caméras, pour sa seule jouissance. Elle devient l’auteure d’un geste créatif inouï tandis que le cinéaste en crise entraîne le projet du film dans une impasse, dont il ne parviendra à sortir qu’en griffant ses images, à la manière des lettristes. La mise en scène d’Olivier Assayas, en perpétuel mouvement, parvient à mêler vitesse et réflexion, intuition et théorie. Elle capte avec justesse et élégance l’intrusion de Maggie Cheung, peut-être pas aussi paumée que la petite troupe qui l’entoure, dans le Paris des années 90. C’est moins l’aura de la star que la pure présence de la jeune femme qui l’intéresse, la bonté et l’intelligence qui émanent d’elle, sans parler de sa fulgurante beauté, comme vingt ans plus tard Kristen Stewart dans Sils Maria et Personal Shopper.
Vous évoquez la figure d’Irma Vep, il faudrait revenir aux Vampires de Louis Feuillade de 1915. Une série de films que je trouve marquantes.
« Mon cher ami, je ne sais rien des Vampires, si ce n’est que tout le monde en a peur. »
1915 : la France est en guerre et le public français ne jure que par Pearl White, la douce blonde des Mystères de New York.
Le journaliste Philippe Guérande mène une enquête sur les Vampires, de redoutables malfaiteurs responsables d’innombrables forfaits et toujours impunis. Malgré les efforts de la police, la bande dirigée par la mystérieuse Irma Vep, n’est toujours pas démasquée.
« Le Paris haussmannien d’avant 1914, la ville aux structures massives en pierre, aux avenues et aux places tranquilles, se révèle soudain partout dangereuse, le théâtre et l’objet de projets secrets. » La trappe, le compartiment secret, le faux tunnel, le faux fond, le faux plafond forment un complexe architectural à la structure architecturale d’une culture bourgeoise. « Le rituel perpétuellement récurrent d’identification et d’autojustification est la présentation de la carte de visite ; il est aussi le signal, le prélude formel de la rencontre fatidique, de l’escroquerie, du braquage, de l’enlèvement ou du meurtre. » Annette Michelson.
Fidèle au roman-feuilletonn avec ses portes dérobées et ses coups de théâtre à répétitions, mixé avec une représentation naturaliste de Paris avec l’évocation d’événements étranges et effrayants. En effet, Feuillade filme de nombreuses scènes en décors naturels, nous permettant de revoir dans les images du Paris des années 1910, comme lors de la formidable scène d’évasion sur les toits de Paris.
Les vampires entre sans contexte dans la catégorie des œuvres mythiques qui contribuèrent à l’édification bien avant l’heure du cinéma de genre. Preuve s’il en est, il fut source d’inspiration pour Fritz Lang et son célèbre génie du mal, le Dr Mabuse et Georges Franju, s’inspira de Feuillade dans Les yeux sans visage et encore plus avec Judex.
Les titres sont particulièrement éloquents « La Tête coupée », « La Bague qui tue », « Le Cryptogramme rouge », « L’Homme des poisons » ou encore « Les Noces sanglantes ».
Des séquences incongrues : Satanas (le chef) qui détruit des bâtiments et des bateaux avec son canon qu’il actionne de temps en temps par sa fenêtre, extravagant ! Il y a un lien, je pense, avec les exploits de la Bande à Bonnot et d’autres bandes anarchistes qui terrorisaient et fascinaient la France à l’époque.
Les classes dominantes et moyennes étaient terrifiées par ces hommes, qui constituaient en effet une menace pour l’autorité et, plus encore, pour la propriété ; en même temps, elles ressentaient sans doute un frisson à l’idée du châtiment qu’elles estimaient peut-être mériter. La réaction des classes ouvrières qui constituaient le public était différente : elles avaient moins à perdre et pouvaient donc se contenter de profiter du spectacle des riches terrorisés. Quelles que soient les raisons, les livres et les films ont captivé l’imagination de toute la France à une époque où les bandes anarchistes étaient à leur apogée.
Mais c’est l’introduction soudaine du Mal dans l’œuvre de Feuillade qui a donné naissance à son talent. Tous ses meilleurs films Fantômas, Les Vampires y font référence. Chaque fois qu’il a essayé d’être moraliste, les films ont perdu beaucoup de leur force. La raison en est la tension créée chez Feuillade entre ses opinions consciemment défendues (il était à la fois catholique et monarchiste) et la fascination que l’on trouve pour lui chez des hommes comme Fantômas et des femmes comme l’énigmatique « vampire » Irma Vep.
Feuillade pose les bases du cinéma réaliste fantastique en ce sens qu’il tire une sorte de poésie de l’étrange et du macabre, Les Vampires est bel et bien l’un des premiers chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma, un film anticonformiste dans sa manière d’opposer les fabuleux vampires jouissant de la vie, escaladant les murs parisiens et rampant aux plafonds et des héros particulièrement fades, comme souvent ultérieurement dans le fantastique…
Un monde de fourberie, de messages codés, où les bandits rivalisent d’ingéniosité et de témérité pour commettre leurs forfaits, à l’ambiance noire particulièrement soignée.
D’un point de vue formel, la mise en scène de Feuillade est intéressante dans la façon dont il emploie la profondeur de champ pour développer l’action.
André Bazin note à ce propos que l’utilisation de plans-séquences en profondeur demande « une attitude mentale plus active et même une contribution positive du spectateur à la mise en scène » tandis qu’avec « le montage analytique, il n’a qu’à suivre le guide, couler son attention dans celle du metteur en scène qui choisit pour lui ce qu’il faut voir, il est requis ici à un minimum de choix personnel »
Sources :
André Bazin, L’évolution du langage cinématographique, dans Qu’est-ce que le cinéma ?
L’édition DVD est un bel objet avec un petit livre très instructif.
Extrait :
https://www.youtube.com/watch?v=SxXLNUlhs68
Bande-annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=Qf-s-jPsm4E