Olivier Père

Rocco et ses frères de Luchino Visconti

ARTE diffuse Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli, 1960) de Luchino Visconti lundi 12 décembre à 20h50. Le film, comme Le Guépard diffusé la veille, sera proposé dans une nouvelle version intégrale et restaurée.

Avant l’exploration du passé de l’Italie dans Le Guépard, Rocco et ses frères explore son présent, avec la même démesure lyrique, et la même intelligence critique qui caractérisent le cinéma de Visconti. Le point de départ de Rocco et ses frères est né du désir de Visconti d’aborder un problème social central dans l’Italie de l’après-guerre, mais jamais traité frontalement au cinéma : l’immigration interne.

Au début du film, une veuve arrive de la campagne de l’Italie du Sud à Milan avec ses quatre fils, pour y retrouver un cinquième garçon déjà installé dans la grande ville et dans l’espoir de leur trouver du travail.

La misère qui règne dans les régions méridionales de l’Italie a en effet contraint une large part de la population à un exode rural, en destination des zones industrielles du nord du pays où se développe l’essor économique, avec notamment les usines automobiles qui nécessitent une importante main d’œuvre et attirèrent de nombreux ouvriers à la recherche d’un emploi. C’est autour de ce phénomène de société capital dans la reconstruction et la modernisation de l’Italie sinistrée par les années de guerre et divisée par l’important écart de croissance entre le nord et le sud que Visconti inscrit son film, et l’histoire qu’il entend raconter : celle de cinq frères méridionaux dont le destin va être bouleversé par le déménagement à Milan et les rencontres qu’ils vont y faire. Le projet de Visconti est comme tous ses films, doté d’une dimension politique. Le cinéaste dresse le tableau vériste du prolétariat, de son aliénation, de son innocence perdue au contact du capitalisme. Parmi les cinq frères Parondi, un seul, Cirro, accèdera à une conscience de classe, en trouvant sa place parmi les ouvriers de l’usine Alfa Romero. Les deux frères autour desquels se noue la tragédie du film de Visconti, Rocco (Alain Delon) et Simone (Renato Salvatori) verront leurs vies brisées par les tentations et la corruption des bas-fonds et des milieux interlopes de la métropole. Le premier sera la victime de sa pureté angélique, proche de la figure de l’idiot dostoïevskien mais aussi de la sainteté, le second sombrera par faiblesse et ignorance dans la déchéance, prisonnier de ses pulsions et de ses instincts, tel un animal blessé. Rocco et ses frères est une chronique, segmentée en chapitres qui correspondent à chacun des cinq frères, mais c’est aussi une fresque, une tragédie antique, un opéra de violence, de désir et de passion. Visconti s’abstrait ainsi de l’école néo-réaliste et transpose ses magistrales mises en scène théâtrales, son sens de la composition picturale et sa puissante direction d’acteurs dans les quartiers populaires de Milan.

Chef-d’œuvre absolu, démonstration éclatante du génie de Visconti, Rocco et ses frères hisse le cinéma vers les cimes d’un art total, qui englobe littérature, musique et théâtre, pour accoucher d’une création à la fois savante et populaire, mêlant la réflexion politique et l’émotion la plus déchirante. Ce film à la grandeur et à la force inaltérables offre à Alain Delon, Annie Girardot et Renato Salvatori, trio d’amants maudits, ce qui demeure sans doute leurs meilleurs rôles. Ils n’ont jamais été aussi beaux, et bouleversants, sublimés par le regard d’un cinéaste qui déclara un jour « poser les yeux sur la beauté, c’est déjà poser les yeux sur la mort. »

Rocco et ses frères est désormais disponible dans sa version restaurée intégrale dans une magnifique édition collector Blu-ray et DVD chez TF1 vidéo, dans la collection Héritage, avec des suppléments d’excellente qualité.

Catégories : Actualités · Sur ARTE

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