ARTE diffuse L’espion qui venait du froid (The Spy Who Came in from the Cold, 1965) de Martin Ritt lundi 24 octobre à 22h55, dans le cadre d’un cycle John le Carré.
Des années 50 aux années 80, le cinéma a produit un nombre pléthorique de récits d’espionnage puisant leurs scénarios dans la Guerre Froide, majoritairement de nationalité anglaise ou américaine. De tous ces films, L’espion qui venait du froid compte parmi les plus importants, et les plus réussis. Il est tiré du troisième roman de John le Carré publié deux ans auparavant, immense succès de librairie qui révolutionna la littérature d’espionnage. L’adaptation cinématographique est produite et réalisée par Martin Ritt, cinéaste américain aux idées progressistes installé en Angleterre pour l’occasion. Il a rarement été aussi inspiré que dans ce film à part dans sa carrière.
L’espion qui venait du froid montre comment les services secrets du Royaume-Uni manipulent un de leurs agents, engagé dans une mission de contre-espionnage de l’autre côté du mur de Berlin en se faisant passer pour un transfuge. Cette opération a en fait pour objectif masqué de détruire la crédibilité de certains membres de la hiérarchie des services secrets de RDA et de sauver la vie d’un agent double haut placé en passe d’être démasqué.
Le film se démarque de la plupart des histoires d’espionnages traitées au cinéma sur un mode spectaculaire par son souci du réalisme et de la psychologie. Ironiquement le scénario de L’espion qui venait du froid est cosigné par Paul Dehn qui avait participé l’année précédente à l’écriture de Goldfinger, la plus célèbre aventure de James Bond, aux antipodes des espions bureaucrates de le Carré. La sobriété de la mise en scène de Ritt, le noir et blanc dépressif collent au propos du film. Le cinéaste décrit un monde déshumanisé où les deux blocs rivalisent de cruauté et de machiavélisme, absolument symétriques et indiscernables dans leurs stratégies de trahison et de manipulation, au service d’idéologies opposées. Ce n’est pas un hasard si la victime désignée de toute l’opération est un agent communiste d’origine juive convaincu de la traitrise d’un dirigeant des services secrets est-allemand au passé nazi – information biographique qui apparaît dans le roman mais pas dans le film, même si elle se devine. L’espion qui venait du froid montre comment l’antisémitisme s’est prolongé de manière insidieuse ou explicite durant la Guerre Froide. Le film dessine aussi, et surtout, le portrait d’un espion ordinaire, Alec Leamas (Richard Burton, photo en tête de texte) ballotté entre les ordres de ses supérieurs hiérarchiques et la découverte tardive de la vérité, contraint de frayer avec des personnages louches, cyniques et sans pitié. Le professionnalisme de Leamas le pousse à renouer avec l’alcoolisme pour endosser la défroque d’un agent déchu et amer, prêt à se transformer en transfuge par appât du gain et désir de revanche. Dans le rôle de Leamas, Richard Burton trouve l’une de ses meilleures interprétations, bouleversant d’émotions enfouies et de dignité bafouée dans un univers où la compassion a disparue. Comédien sous-estimé, Burton rappelle ici que son beau visage fut parfois le masque tragique d’une humanité souffrante, d’une noblesse masculine éprouvée mais toujours vivante.
C’est pour l’amour d’une naïve petite bibliothécaire membre du Parti Communiste britannique, impliquée malgré elle dans cette sombre affaire, que Alec Leamas refusera de continuer ce jeu de dupes, préférant une fois pour toutes le destin de sacrifié à celui de salaud.
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