Olivier Père

La Panthère noire de Ian Merrick

UFO distribution (en France) et le British Film Institute (en Grande-Bretagne) nous permettent de découvrir quarante ans après sa réalisation un film totalement absents des radars cinéphiliques. Il est étonnant de voir apparaître en DVD un film dont on ignorait l’existence, malgré son appartenance à un genre qui nous a toujours intéressé. La surprise est d’autant plus grande que le film est remarquable. La Panthère noire (The Black Panther, 1977) et son auteur Ian Merrick n’ont pas eu de chance. Ce premier long métrage d’un jeune réalisateur anglais, tourné en totale indépendance avec un petit budget, a vu sa carrière ruinée dans l’œuf par une campagne calomnieuse menée par des journalistes anglais. Le film a été enterré avec l’annulation de sa sortie nationale, après quelques projections dans des villes de province. Il n’a fait sa timide réapparition en Angleterre qu’en vidéo au début des années 80, sans jamais connaître de distribution à l’étranger. Il faut dire que Ian Merrick n’avait pas choisi la facilité en décidant de retranscrire à l’écran les agissements criminels de Donald Nielson, dont les sinistres exploits avaient défrayé la chronique dans le nord de l’Angleterre entre 1971 et 1975, seulement un an après la fin de son procès et sa condamnation à perpétuité. Ancien soldat impliqué dans des opérations postcoloniales, Nielson une fois démobilisé avait perpétré sur un mode « commando » plusieurs centaines de cambriolages, et commis trois meurtres sous l’emprise de la panique. Il fut également reconnu coupable du meurtre d’une jeune fille lors d’un enlèvement avec demande de rançon. Il devait son surnom de « panthère noire » à son accoutrement et à sa cagoule. Pervers narcissique dénué du moindre sens moral, tyran domestique, brute sadique et raciste incapable de s’adapter à la vie civile après son expérience militaire, Donald Nielson est l’archétype du psychopathe pour lequel la moindre empathie est impossible. Merrick opte pour une approche hyperréaliste avec le souci de se tenir au plus près des événements, par une forme de description clinique des faits. Des psychiatres, ainsi que des témoignages de son épouse ont aidé à reconstituer le profil du tueur dans son intimité. Les meurtres et agressions de Nielson sont reproduits dans leurs moindres détails. Les accusations de racolage et d’exploitation adressées au film avant même sa sortie ne tiennent pas. D’une part Merrick évite toute complaisance dans la représentation de la violence, d’autre part il maintient une distance critique et émotionnelle en face de son sinistre protagoniste, présenté dans toute sa bêtise et son abjection. La lenteur et la froideur de la mise en scène de Merrick, très maîtrisée pour une production à petit budget, inscrivent le film dans une certaine tradition du cinéma criminel anglais, qui privilégie l’étude psychologique et l’ancrage dans une réalité sociale sordide. Nielson dans son délire mégalomane apparaît avant tout comme un sombre imbécile qui rate la plupart de ses horribles projets par malchance et maladresse. Qu’il ait pu échapper aux mailles du filet de la police pendant de longues années ne fait que souligner l’incompétence crasse de cette dernière. Tout cela est fort bien montré dans le film de Merrick. Malgré (ou à cause de) son refus du sensationnalisme La Panthère noire demeure un film très éprouvant, souvent pénible à regarder, surtout lors de l’épisode du kidnapping de l’adolescente, séquestrée sous terre au fond d’un réservoir d’eau.

On pensait avoir atteint les limites de l’esthétique glauque du cinéma anglais des années 70 avec les films de Pete Walker, Norman J. Warren et pourquoi pas Mike Leigh, La Panthère noire, situé dans des paysages sinistres du Nord de l’Angleterre, les enfonce allégrement. Tout transpire la laideur et la médiocrité, à commencer par Donald Nielson, interprété par un très inquiétant Donald Sumpter. Le nom le plus connu au générique de La Panthère noire est son scénariste Michael Armstrong, fameux pour avoir réalisé La Marque du Diable, film très violent sur les chasseurs de sorcières. Comme La Marque du diable, La Panthère noire se nourrit d’incidents réels pour déboucher sur l’horreur pure. Le scénario de Armstrong est un bon exemple de travail réussi à partir d’un fait-divers et d’une chronique criminelle, matériaux impurs qui ont régulièrement inspiré les cinéastes, les plus géniaux et les plus célèbres comme les plus anonymes (Ian Merrick par exemple). Il existe d’ailleurs une parenté directe, par son sujet et son traitement, entre La Panthère noire et L’Etrangleur de Rillington Place, autre étude terrifiante sur un tueur en série, d’après une histoire vraie, réalisé en Angleterre en 1971 par Richard Fleischer.

 

 

 

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