Olivier Père

Sesso nero de Joe D’Amato

Bach films vient d’éditer en DVD deux films de Joe D’Amato qui appartiennent à la période caribéenne du réalisateur italien : Sesso nero et Orgasmo nero, tous les deux tournés en 1980. Un bon Joe D’Amato, ça existe? Oui répondent en chœur les spécialistes du cinéma bis qui accordent à ce gougnafier de la pellicule davantage que le bénéfice du doute. Sesso nero (nous n’avons pas vu Orgasmo nero) leur donnent raison. Il y a des obsessions, forcément malsaines, chez ce cinéaste né Aristide Massaccesi qui œuvra d’abord comme directeur de la photographie sur des productions transalpines bis, avant de devenir un des plus besogneux artisans du cinéma d’exploitation transalpin, bidouillant (presque) tous les sous-genre et imitations en vogue dans les studios romains – ces studios qui pouvaient aussi se réduire à des terrains vague de banlieue ou des carrières abandonnées : péplum, fantastique, gore, horreur, science-fiction post apocalyptique… avant la reconversion progressive, finale et lucrative dans le cinéma pornographique, d’abord en 35mm puis en vidéo. La « D’Amato’s Touch » se définissait par des excès crapuleux de sexe et d’images choquantes, inégalement répartis selon les genres abordés – trouvant son paroxysme avec les tristement célèbres Antropophagous (avec son ogre qui dévore ses propres entrailles) et Blue Holocaust (avec son maniaque nécrophile).

La série des films tournés à Saint-Domingue constitue un sous-ensemble cohérent, et relativement original, dans la carrière de Joe D’Amato. Certes il copie encore la mode des « mondo » (exotisme, vaudou pour touristes et relents racistes de néo-colonialisme), pimente ses films érotiques d’éléments empruntés au fantastique ou au gore, mais ces films bénéficient de l’atmosphère tropicale de l’île, de la beauté sauvage de ses plages et de ses décors naturels. Il s’en dégage une certaine poésie morbide.

Sesso nero de Joe D'Amato

Sesso nero de Joe D’Amato

Sesso nero possède au moins une importance historique que personne ne peut contester : il s’agit du premier film pornographique italien distribué de manière officielle. D’Amato avait auparavant caviardé certains de ses films érotiques d’inserts hard, souvent avec des acteurs différents – pratique répandue en Europe pour rendre plus attractifs en deuxième ou troisième exclusivité dans les salles spécialisées des films sexy ou horrifiques produits avant la déferlante porno. Ce n’est pas le cas avec Sesso nero où les scènes sexuelles non simulées (masturbations, fellations et quelques coïts mollassons) sont intégrées au récit, et tournées avec les mêmes acteurs. Malgré ce cahier des charges banal Sesso nero n’est pas un porno comme les autres. C’est avant tout un film narratif, détail de poids qui distingue Sesso nero du marché du X actuel. Le scénario est signé George Eastman (de son vrai nom Luigi Montefiori), complice régulier de Joe D’Amato devant et derrière la caméra, acteur à la stature de colosse et scénariste à l’imagination malade. Sesso nero est un roman-photo d’une incommensurable noirceur sur un homme condamné par la médecine. Atteint d’un cancer de la prostate, il doit se résigner à l’ablation de son membre viril. L’homme, un play-boy cynique et détestable, préfère finalement fuir la vieille Europe et se réfugie à Saint-Domingue pour y finir ses jours. Hanté par les souvenirs d’un amour fou vécu sur l’île il y a plusieurs années, il est troublé par une jeune femme qui ressemble trait pour trait à sa défunte maîtresse. Les crises de douleur et les cauchemars succèdent aux ébats sexuels, sur fond de vaudou et d’apparitions fantomatiques, dans ce que l’on pourrait considérer – toutes proportions gardées – comme le Vertigo de Joe D’Amato. La scène finale, le suicide du « héros » nu sur une plage, face à la mer, par autocastration au couteau, nous rappelle que le cinéaste avait bâti sa réputation sur des films d’horreur sanguinolents. On pense aussi à La Dernière Femme de Ferreri et au sexe tranché de Depardieu, même si Joe D’Amato n’accorde sans doute pas la même valeur allégorique (la défaillance de l’homme occidental dans la société moderne) à la conclusion de son film. Sesso nero raconte in fine la vengeance d’une femme au-delà de la mort.

Sesso nero de Joe D'Amato

Sesso nero de Joe D’Amato

Malgré une technique assez rudimentaire, le film possède un charme bis envoutant. Il est chargé d’un désespoir poisseux, ne cherche jamais à rendre son personnage central sympathique tandis que les actrices, d’éphémères starlettes locales enrôlées par D’Amato pour des tournages à la chaîne, ne manquent pas de mystère, telles Lucía Ramírez (photo en tête de texte) et sa sensualité languissante ou l’Italienne Annj Goren. Le rôle principal masculin échoit au moustachu Mark Shannon (pseudo de Manlio Cercosimo), l’un des premiers acteurs italiens à faire carrière dans le hard. Il se retire en 1983 après avoir tourné presque tous ses films sous la direction du prolifique Joe D’Amato.

 

Profitons de la mise en vente de ces deux DVD pour saluer la parution aux éditions Artus d’un ouvrage de référence, très complet et documenté, avec un approche critique pertinente, sur la filmographie monstrueuse de Joe D’Amato, signé Sébastien Gayraud. Pour descendre avec un bon guide dans les enfers du cinéma bis italien…

 

 

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