ARTE diffuse Le Scandale (1967) de Claude Chabrol lundi 4 avril à 20h55.
Cet étrange Scandale appartient à la période désinvolte et farfelue de la longue filmographie de Claude Chabrol, lorsque le jeune cinéaste, après quelques titres emblématiques de la Nouvelle Vague, peine à retrouver le succès de ses débuts et s’enlise dans des commandes alimentaires (la série des « Tigre » avec Roger Hanin, Marie-Chantal contre docteur Kha), dans le giron du cinéma commercial français des années 60. Réalisé entre La Ligne de démarcation et La Route de Corinthe – peut-être le nadir de l’œuvre chabrolienne alors en totale – et heureusement passagère – déréliction, Le Scandale possède au moins le mérite de travailler certains thèmes et ambiances chers au cinéaste des Cousins, d’enclencher son imaginaire cinéphile (nous naviguons dans les eaux troubles du crime et du complot intime chères à Lang et Hitchcock) et de faire preuve d’une ambition formelle étonnante. La mise en scène tend à plusieurs reprises vers l’abstraction, les séquences s’étirent plus que de raison, avec une lenteur mortifère, les couleurs et la musique confèrent au film une dimension onirique, à la lisière du fantastique. Il n’empêche que Le Scandale, à l’instar d’autres films de Chabrol des années 60 et 70, fut produit en conçu de manière assez rocambolesque. Dans plusieurs livres de souvenirs ou d’entretiens, Chabrol raconte avec son humour habituel que Le Scandale était au départ une idée du producteur Raymond Eger (En effeuillant la marguerite, Sois belle et tais-toi) qui était également scénariste sous le nom de plume de William Benjamin.
« Il me demande si j’ai envie de faire quelque chose d’un peu sérieux, et me dit qu’il a un scénario épatant : un crime dans un camp de nudistes. Pour moi, c’était une époque où j’avais besoin de travailler et de me rassurer. Je lui réponds : « Formidable ! Nous allons essayer de trouver l’endroit où on va cacher l’arme du crime ! » (Rires). Il n’a pas compris que je rigolais et m’a donné carte blanche. » (in Conversations avec Claude Chabrol, un jardin bien à moi par François Guérif, Denoël, Paris, 1999).
Bien entendu le camp de nudistes disparaîtra rapidement du scénario, remplacé par la grande bourgeoisie de province (une entreprise familiale qui a fait fortune grâce au négoce du champagne), milieu qui a toujours fasciné Chabrol et qu’il connaît bien. Le cinéaste en pleine réécriture appela à la rescousse son fidèle scénariste et collaborateur Paul Gégauff, qui lui envoya une nouvelle mouture dialoguée signée Luc Dutour, « anagramme de trou du cul, ce qui voulait dire que c’était un boulot de merde », dixit Chabrol.*
Au sein d’une intrigue très tarabiscotée, Chabrol s’amuse en offrant à son égérie Stéphane Audran un double rôle à transformation, clin d’œil à Sueurs froides et à Psychose. Anthony Perkins et Yvonne Furneaux, actrice d’origine française ayant fait carrière en Angleterre et en Italie sont apportés par la production qui pense au marché international. Chabrol parvient à imposer Maurice Ronet (photo en tête de texte) dans le rôle de l’héritier déboussolé après une agression. Ce merveilleux acteur avait déjà joué sous la direction de Chabrol dans La Ligne de démarcation et le retrouvera à plusieurs reprises, notamment dans La Femme infidèle où il campe de façon inoubliable l’amant de Stéphane Audran assassiné par son mari Michel Bouquet. Les dérives éthyliques des deux amis bourgeois et oisifs interprétés par Ronet et Perkins dans Le Scandale au gré de soirées mondaines décadentes et de rencontres avec des prostituées permettent d’évoquer d’autres Chabrol écrits par Gégauff, spécialiste de la question (Les Godelureaux) et même Plein Soleil, autre scénario de Gégauff avec Maurice Ronet, lui aussi homme de la situation.
Le passage à vide dans la filmographie de Chabrol (1964-1967) prendra fin en 1968 avec Les Biches, point de départ d’une série de grands films tous produits par André Génovès où Chabrol donnera le meilleur de lui-même : Que la bête meure, Le Boucher, Juste avant la nuit…
*ouvrage cité.
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