ARTE diffuse Section spéciale (1975) lundi 8 février à 20h55 dans le cadre de son hommage à Costa-Gavras. Les précédents films politiques de Costa-Gavras étaient des fictions s’inspirant de faits réels, dénonçant différentes formes de totalitarisme par le biais de récits proches du thriller. Dans Section spéciale le romanesque n’a plus sa place. Le cinéaste ne veut plus emprunter la voie de l’allégorie ou de la transposition. Le film est une reconstitution minutieuse d’un épisode longtemps occulté de la collaboration du régime de Vichy avec l’occupant allemand, où tous les noms des protagonistes et tous les événements décrits sont strictement exacts. Costa-Gavras et son scénariste Jorge Semprún adaptent L’affaire de la Section Spéciale de Hervé Villeré, essai très documenté – l’auteur avait pu consulter les archives allemandes tandis que la Justice française lui avait refusé l’accès à ses dossiers.
Les sections spéciales furent créées en 1941 par Pierre Pucheu, ministre de l’intérieur du gouvernement de Vichy, après l’exécution d’un soldat allemand à la station de métro Barbés par un jeune militant communiste, Pierre Georges, ultérieurement connu sous le nom de Colonel Fabien. A l’initiative de Pucheu le conseil des ministres présidé par le maréchal Pétain accepte de voter une loi d’exception rétroactive permettant de juger à nouveau six prisonniers français dans le but d’obtenir leur condamnation à mort, afin de satisfaire l’armée allemande. Cette décision déclenche certaines réticences à Vichy mais tous s’inclinent devant la fermeté de Pucheu, fasciste convaincu, soutenu par Pétain. Le film montre le déroulement de ce coup de force, véritable outrage qui transforme la justice française en mascarade, avec un simulacre de procès à la clé. Section spéciale n’a pourtant rien d’un documentaire. Costa-Gavras retrouve ici la veine bouffonne et chorale de Z avec une galerie de personnages (politiciens, magistrats, hauts fonctionnaires…) pour la plupart grotesques, monstrueux ou ridicules (ou les trois à la fois) englués dans leur lâcheté, leur haine ou leur soumission au pouvoir. Le cinéaste témoigne d’un génie de la distribution en confiant des rôles dramatiques de grands bourgeois pétainistes, parfois brefs mais toujours mémorables à des comédiens prestigieux de la Comédie-Française ou à des acteurs de comédies à contre-emploi. Mention particulière à Louis Seigner, François Maistre, Michael Lonsdale, Claude Piéplu, Roland Bertin, Pierre Dux… Un an avant Le Juge et l’Assassin Michel Galabru (décédé au début de l’année) interprète dans Section spéciale le président Cournet qui refuse avec fracas de se prêter à cette parodie de justice, le temps d’une scène extraordinaire. Ces acteurs grandioses dans des rôles de pantins ignobles ou misérables, presque tous échappés d’un film de Jean-Pierre Mocky ou de Luis Buñuel produit par Serge Silberman, confèrent à Section spéciale la dimension funèbre d’une cérémonie de mise à mort, mais aussi d’un théâtre de marionnettes atroces. Jamais Costa-Gavras n’a été plus près de la vérité, jamais un de ses films n’a autant ressemblé à un cauchemar éveillé, à une farce grimaçante, saisissant reflet d’une des pages les plus honteuses de notre histoire.
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