Olivier Père

Fanny et Alexandre de Ingmar Bergman

ARTE inaugure son cycle Ingmar Bergman en diffusant lundi 20 juillet à 20h50 Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander, 1983) dans sa version cinéma (3h08), film admirable qui excède et dépasse – tout en la contenant – la filmographie entière du cinéaste.

 

Au début des années 80 Bergman décide de mettre un terme à sa carrière cinématographique et entreprend Fanny et Alexandre comme son film testament. Il tiendra parole, sans doute satisfait du résultat, puisque les quelques titres qu’il réalisa jusqu’à sa mort – parmi lesquels un superbe et ultime Sarabande, suite de ses Scènes de la vie conjugale – furent produits pour la télévision. Formellement Fanny et Alexandre est très différent de tout ce que le cinéaste a pu faire auparavant : c’est une saga familiale située dans la Suède du début du XXème siècle, constituée de plusieurs chapitres tous confinés dans quelques intérieurs et un théâtre. Des gros plans de l’eau du fleuve traversant la ville viennent scander le récit, symbole de l’écoulement du temps, avec ses tourbillons et ses moments d’accalmie. Le classicisme de la mise en scène et l’écriture chorale détonnent avec l’épure parfois expérimentale des précédents films de Bergman, qui se rapproche ici de Visconti ou de Renoir. Mais les thèmes, eux, demeurent les mêmes : la conjugalité (plusieurs couples d’aiment ou se déchirent, séparés par la vie et la mort), la sensualité (le priapisme joyeux de l’oncle), névroses et hystéries féminines en tous genres, angoisse métaphysique devant Dieu et le néant… a la différence que Fanny et Alexandre, touché par la grâce et la sérénité, affiche un optimisme inhabituel chez Bergman. Les héros du film surmonteront les épreuves que leur infligent le destin ou leurs propres faiblesses, aidés parfois par des forces surnaturelles (l’intervention « magique » du marchand juif Isak Jakobi, ami de la famille Ekdahl, pour soutirer Fanny et Alexandre des griffes du clan Vergerus.)

Mais le véritable sujet de Fanny et Alexandre, c’est la vie même, dans sa globalité, sa diversité et son unicité. A travers les différentes étapes de la vie d’un homme et d’une femme toutes représentées dans le film Bergman parvient à évoquer les émotions, les sentiments et les réflexions liés à chaque âge de l’existence, livre un récit édifiant, itinéraire moral et roman d’apprentissage où le courage, la solidarité, l’intelligence, la culture et la raison, l’imagination, sans oublier l’amour finissent par triompher de la folie, de l’envie et de l’obscurantisme. C’est un Bergman enfin apaisé, capable d’accepter les bonheurs et les malheurs de la vie et l’approche de la mort qui tire sa révérence dans Fanny et Alexandre.

 

Fanny et Alexandre englobe passions et obsessions de Bergman, à commencer par le théâtre. Le film débute par un enfant, Alexandre, jouant avec des figurines dans un théâtre miniature. On le verra ensuite donner dans sa chambre une représentation de lanterne magique à des petites filles, avec son cortège de fantômes et d’ombres menaçantes, annonciatrices des malheurs à venir, et aussi des apparitions et manifestations surnaturelles qui scanderont le récit.

La première partie se déroule lors d’un fastueux réveillon du 24 décembre, vivant, coloré et chatoyant, qui contraste avec la longue période d’austérité et de terreur qui couvre la mort du père de Fanny et Alexandre et le remariage de leur mère avec le redoutable archevêque protestant Vergerus, incarnation du Mal absolu puisque derrière le masque de l’homme d’église vertueux se cache un monstre vénal, jaloux, hypocrite, sadique et antisémite.

Bergman se projette dans ce jeune garçon à la fois metteur en scène (déjà) et spectateur, un pied dans le monde enchanté des rêves et de la représentation, l’autre dans le monde des adultes, observateur inquiet ou dégouté de leurs turpitudes. Alexandre (Fanny restera en retrait, plus jeune, admirative et solidaire de son frère) est une figure admirable dans son combat contre son beau-père, sa haine précoce de Dieu, son amour pour sa mère, son intelligence des choses et du monde. Si Fanny et Alexandre se présente comme une œuvre somme tout en se différenciant radicalement de tous les films précédents, c’est sans doute dans l’autobiographie littéraire de Bergman qu’il puise sa source, « Lanterna magica » (rien que le titre), dans laquelle le cinéaste revient sur son enfance et dont voici un passage éclairant : « Difficile de faire la différence entre ce qui était le fruit de l’imagination et ce qui était considéré comme réel. Avec un effort, je pouvais peut-être forcer la réalité à demeurer réelle, mais il y avait, par exemple, les fantômes et les spectres. Que fallait-il que je fasse des fantômes et des spectres ? Et les contes, étaient-ils réels. » Bergman résout, du moins illustre ces interrogations dans Fanny et Alexandre. Alexandre voit de nombreux fantômes dans le film, plus ou moins terrifiants (comme les deux sœurs noyées dans le grenier), à commencer par son propre père qui lui apparaît régulièrement, tel le spectre dans « Hamlet », la dernière pièce qu’il répétait au théâtre avant son attaque fatale. Il y a aussi cette mystérieuse momie vivante cachée dans les sous-sols de la maison d’Isak où se sont réfugiés les enfants. Découverte et appréhension de la vie, curiosité et fascination intarissables y compris et surtout dans ce qu’elle a d’inexplicable et de magique.

 

 

 

 

 

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