Olivier Père

Un frisson dans la nuit de Clint Eastwood

ARTE diffuse dimanche 31 mai à 22h20 le premier film réalisé par Clint Eastwood, Un frisson dans la nuit (Play Misty for Me, 1971), pour célébrer les 85 ans de l’acteur et metteur en scène américain qui vient de signer cette année son plus gros succès au box office mondial, American Sniper.

Dave (Clint Eastwood), un programmateur de disques vedette d’une petite station de radio locale passe tous les jours, à la demande d’une auditrice, la chanson « Misty » de Erroll Garner. Un soir dans un bar, il rencontre une jeune femme, Evelyn (Jessica Walter) qui lui avoue être son admiratrice. Ils couchent ensemble. C’est le début d’une liaison toxique et bientôt terrifiante.

Jessica Walter dans Un frisson dans la nuit

Jessica Walter dans Un frisson dans la nuit

 

Désireux de faire ses premiers pas derrière la caméra, Eastwood accepte de ne toucher que son cachet d’acteur pour réaliser Un frisson dans la nuit, d’après le scénario original d’une jeune secrétaire, Jo Heims. Acteur, producteur et réalisateur, Eastwood est aussi un homme d’affaire avisé qui impose dès son premier long métrage son indépendance artistique et économique au sein des studios hollywoodien en créant sa propre compagnie, Malpaso.

Parrainé par Don Siegel – qui tient le petit rôle d’un barman – Eastwood a l’intelligence de faire des choix artistiques en équation avec la modestie du budget. Entièrement tourné en décor naturel, dans la cadre magnifique des environs de sa ville Carmel en Californie que Eastwood connaît par cœur, le cinéaste adopte un rythme décontracté en apparente contradiction avec la tension du récit et le surgissement de scènes sanglantes.

Eastwood au sein d’un thriller angoissant se permet même une incartade bucolique et sentimentale et une visite intéressée, caméra à l’épaule sur un mode documentaire, au concert en plein air du Festival de Monterey, le jazz étant déjà sa grande passion. Ces ruptures de ton participent à l’originalité du film, qui annonce le style des futures réalisations du cinéaste débutant.

Un frisson dans la nuit procède à une inversion audacieuse des conventions narratives autour du sexe et du danger en transformant Eastwood, séducteur hédoniste au machisme décomplexé, en victime harcelée par une dangereuse psychopathe, d’abord intrusive, puis rapidement menaçante.

Cette mise à mal du mâle américain prolonge les thématiques du film précédent interprété par Eastwood et réalisé par Siegel, le génial Les Proies, dans lequel un soldat nordiste était soigné, séquestré puis mutilé par un gynécée de jeunes filles excitées par l’intrusion d’un corps viril dans leur univers exclusivement féminin.

Le huis-clos anxiogène de Siegel cède la place à un suspens en plein air, mais la peur de la castration demeure. Eastwood s’amuse à creuser la brèche « sado-macho » qui alimente toutes sa filmographie jusque dans les années 90. La stature imposante de la star est menacée par une jeune femme instable prête à tout pour conserver les faveurs du séduisant célibataire. La situation est cocasse si l’on connaît les frasques sexuelles et le donjuanisme de Eastwood à l’écran et (surtout) à la ville. Unique incursion de Eastwood dans le thriller horrifique – La Corde raide en 1984 sera réalisé par un exécutant, Richard Tuggle – Un frisson dans la nuit anticipe de seize ans l’argument du Liaison fatale de Adrian Lyne, beaucoup plus puritain et réactionnaire.

 

 

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