Olivier Père

Rétrospective Nagisa Oshima à la Cinémathèque française

La Cinémathèque française rend hommage à Nagisa Oshima (1932-2012, photo en tête de texte) en projetant l’intégrale de ses films du 4 mars au 2 mai 2015.

Enfant terrible du cinéma japonais, grand réalisateur révélé au début des années 60 mais également polémiste, essayiste et artiste engagé, Oshima a tenu dans le paysage politique et cinématographique de son pays un rôle comparable à celui de Pier Paolo Pasolini en Italie. Comme Pasolini, ou Glauber Rocha au Brésil, ou Jerzy Skolimowski en Pologne, Nagisa Oshima fut un auteur emblématique des nouveaux cinémas qui fleurirent dans le monde entier simultanément ou quelques années après la Nouvelle Vague française. Ces jeunes hommes en colère étaient la fois les héritiers de la modernité, les inventeurs de formes nouvelles et les destructeurs d’un certain cinéma classique.

D’ailleurs, si c’est le mot « engagé » qui revient souvent à l’évocation du cinéma de Oshima (notamment contre l’impérialisme américain après la guerre, contre le poids des traditions japonaises), celui d’ « enragé » est encore plus juste.

Né à Kyoto en 1932, Oshima fait des études de droit et de politique mais s’intéresse très tôt au cinéma en étant à la fois assistant sur des tournages de films de la Shochiku, critique cinématographique curieux de tout ce qui se fait de plus novateur en Europe et aussi scénariste.

Dès son deuxième film Oshima frappe un grand coup avec Contes cruels de la jeunesse (1960), brûlot agressif et désespéré qui fait sensation. Cet équivalent nippon de A bout de souffle pour la France ou Les Poings dans les poches en Italie révèle un cinéaste qui ne tire pas un trait définitif sur un certaine formalisme hérité des studios (couleurs flamboyantes, cadrages expressifs et écran large) mais brutalise les conventions narratives et morales du cinéma japonais.

Une jeune fille devient la maîtresse d’un petit voyou. Ils organisent ensemble des chantages aux automobilistes qu’elle accuse de viol. Tout cela finira très mal. Oshima, alors jeune homme révolté au même titre que Imamura et Yoshida, signe un film d’une violence incroyable sur le Japon de l’après-guerre. Ce titre essentiel de la Nouvelle Vague japonaise sera suivi par d’autres films remarqués en Occident grâce aux festivals et à la critique (L’Enterrement du soleil, Nuit et Brouillard au Japon, Le Petit Garçon, Les Plaisirs de la chair, La Pendaison, La Cérémonie) et qui enflamment les esprits par leur caractère subversif et par la radicalité de leur mise en scène. Mais c’est grâce à L’Empire des sens que Oshima va connaître en 1976 la célébrité et le succès hors de son pays. Ce coup d’éclat, il le doit à un producteur français, Anatole Dauman, qui lui donne carte blanche pour réaliser un film érotique. Oshima choisit de s’intéresser à l’histoire vraie d’Abe Sada, une jeune femme qui avait assassiné et châtré son amant dans les années 30. Oshima décide de braver la censure et surtout les tabous de la civilisation japonaise en tournant pour la première fois au Japon un film avec des actes sexuels non simulés, où les poils pubiens et les organes génitaux apparaissent enfin à l’écran, habituellement dissimulés par de pudiques caches.

Énorme scandale au Japon – Oshima sera poursuivi pour obscénité et finalement acquitté après un procès de trois ans, L’Empire des sens se distingue évidemment du cinéma érotique japonais « traditionnel » mais également du « porno d’auteur » à la mode des années 70. Oshima filme avant tout l’histoire d’une passion, et en bon disciple de Bataille illustre les liens indissolubles entre jouissance et mort, crime et sexualité. Coutumier des sujets politiques et sociaux, Oshima ne se renie pas avec ce film de sexe à huis clos. L’Empire des sens est en lui-même un acte révolutionnaire, le geste d’un homme libre qui cherche à confondre, selon les propres mots de Oshima, « rêve et réalité ». Forts de ce succès provocateur, Oshima et Dauman produisent deux ans plus tard L’Empire de la passion, envisagé comme la seconde partie d’un diptyque. Il s’agit cette fois encore de la reconstitution d’un fait divers criminel (deux amants assassinent le mari gênant afin de vivre leur amour sans entrave) survenu dans la campagne nippone au siècle dernier. Mais Oshima se refuse à la surenchère dans la représentation de la sexualité. Il est difficile d’aller plus loin que le film précédent et parfaitement vain de refaire la même chose. Oshima emprunte – en surface – une esthétique et une narration plus classiques, puisque le récit adopte la forme du fantastique traditionnel (jeté dans un puits, le fantôme du mari revient hanter sa meurtrière) et que les images sont d’une impressionnante beauté picturale. L’Empire des sens était un film intériorisé, L’Empire de la passion est au contraire une œuvre tourné vers l’extérieur, puisque le décor (un village perdu au milieu de la nature) noie la passion physique des deux amants dans une vaste perspective cosmique et tellurique. Il est à noter que le cinéaste Koji Wakamatsu, célèbre pour ses « pinku eigas » révolutionnaires, fut directeur de production sur L’Empire des sens et L’Empire de la passion.

En 1983, Oshima crée à nouveau l’événement mondial avec Furyo (Merry Christmas, Mister Lawrence), qui décrit le choc des cultures entre officiers Japonais et Anglais dans un camp de prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale, sur l’île de Java en 1942. Le sous texte homosexuel est omniprésent à propos de la fascination qu’exerce le major Jack Celliers, rebelle et ambigu, sur le rigide capitaine Yonoi qui dirige le camp, obsédé par la discipline et le respect de la tradition. Jamais un film de guerre n’a été aussi glamour puisque ce sont David Bowie et son homologue nippon Ryuichi Sakamoto qui interprètent les deux hommes en pleine surchauffe. Le fétichisme de l’uniforme, les rituels militaires, le code de l’honneur samouraï, plus de nombreuses scènes outrageusement sadomaso valurent à ce film un succès mérité. La bande originale composée par Sakamoto contribua beaucoup au culte immédiat autour de Furyo qui enthousiasma aussi bien les admirateurs de Oshima que les nombreuses groupies des deux rock stars. Plus les amateurs de films de légionnaires et de gladiateurs.

Toujours très à l’aise dans les univers troubles et les situations sulfureuses, Charlotte Rampling est magnifique en grande bourgeoise qui prend un chimpanzé comme amant dans Max mon amour (1986), film tourné à Paris par Nagisa Oshima et écrit par Jean-Claude Carrière, en hommage à la période française de Luis Bunuel (Max mon amour est d’ailleurs produit par Serge Silberman, producteur de Bunuel mais aussi de Ran de Akira Kurosawa.) Aucune pornographie dans Max mon amour, mais un sens de l’humour surréaliste et une forme de marivaudage théâtral qui dérouta le public et la critique. Un film à redécouvrir. On pourrait dire la même chose de Tabou (Gohatto, 1999), testament cinématographique de Oshima qui brise à nouveau un tabou, comme son titre l’indique, à savoir les pulsions homosexuelles dans le Japon féodal et en particulier chez les samouraïs réputés pour leur virilité. Tabou est un film somptueux, glacé et funèbre, hanté par la mort et la beauté, ce qui permit d’évoquer Thomas Mann lors de sa présentation au Festival de Cannes. Victime d’une attaque qui l’avait laissé paralysé, Nagisa Oshima avait mis fin à sa carrière en 2000 et renoncé aux apparitions publiques en raison de sa maladie. Celui que David Bowie avait désigné comme « le metteur en scène le mieux habillé que je connaisse » était également l’auteur de nombreux documentaires pour la télévision.

 

Nous reviendrons plus longuement sur Le Petit Garçon, La Pendaison et La Cérémonie qui sont proposés le 11 mars dans un beau coffret DVD/Blu-ray édité par Carlotta avec d’autres films majeurs de Oshima des années 60 et du début des années 70.

 

A l’occasion de la rétrospective à la Cinémathèque française Carlotta ressort aussi Le Petit Garçon au cinéma le 4 mars, et La Pendaison et La Cérémonie le 18 mars. Tandis que le 18 mars Bac Films réédite en salles Furyo. Tout ça en version restaurée bien entendu.

 

 

 

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