L’éditeur Elephant poursuit pour notre plus grand plaisir son exploration du cinéma britannique avec l’exhumation de nombreuses pépites de son histoire. Après les plus méconnues des productions Korda c’est au tour de titres mythiques du cinéma fantastique anglais d’être rééditées dans de superbes copies full HD, dans une collection en tous points remarquables, en vente à partir du 6 mai.
Il s’agit de quatre titres tardifs produits par la célèbre firme Hammer à l’orée des années 70, juste avant son irréversible déclin. Ce sont aussi parmi les derniers films à refuser l’intrusion d’éléments contemporains dans le récit, à rester fidèle à certains grands mythes fondateurs du fantastique (les vampires, Jack l’éventreur) et à persister dans le style gothique qui fit la réputation de la Hammer, à l’heure du psychédélisme et des relectures pop et postmodernes des grands genres cinématographiques. Même la conservatrice Hammer n’y échappera pas avec Dracula 73 et sa suite Dracula vit toujours à Londres qui transportaient le célèbre vampire toujours interprété par Christopher Lee dans le Swingin’ London ou Les Sept Vampires d’or curieux mélange de fantastique et de kung-fu, coproduit avec la Shaw bros à Hong Kong !
La Fille de Jack l’éventreur (Hands of the Ripper, 1971) de Peter Sasdy est une des ultimes grandes réussites de la Hammer. Malgré l’absence des vedettes maison au générique, ce chant du cygne bénéficie d’une excellente interprétation et son scénario est beaucoup plus subtil et complexe qu’à l’accoutumée, avec des références à la psychanalyse. Sanglant, ponctué de scènes choc, La Fille de Jack l’éventreur est avant tout une déchirante histoire d’amour, et c’est sur une note mélancolique et une œuvre surprenante et d’une insondable tristesse, empruntant au registre du mélodrame torturé, que s’achève l’âge d’or du fantastique gothique anglais.
Le Cirque des vampires (Vampire Circus, 1972) est un film étrange – et une réussite – de plus produit par la Hammer dans sa dernière période moderne et iconoclaste, même si l’action se déroule dans la campagne d’un pays d’Europe Centrale de la fin du XIXème siècle comme de nombreux films de vampires. On y découvre un cirque itinérant qui dissimule un repaire de suceurs de sang et de créatures surnaturelles, dont une inoubliable femme tigre et des jumelles acrobates qui se transforment en chauve-souris en plein numéro. C’est un sommet trop méconnu du cinéma fantastique britannique, inventif, pervers, magnifiquement photographié et interprété (Adrienne Corri d’Orange mécanique, John Moulder Brown de Deep End, Anthony Higgins quand il se faisait appeler Anthony Corlan) dans lequel les clichés du film de vampires sont ingénieusement malmenés, et d’une forte puissance érotique.
Les Sévices de Dracula (Twin of Evil, 1972, photo en tête de texte) est sans doute le meilleur film du lot. Troisième long métrage de John Hough qui allait poursuivre sa carrière aux Etats-Unis (Larry le dingue, Mary la garce) il ne cesse de surprendre par sa violence et ses qualités visuelles. Deux très belles sœurs jumelles arrivent dans une région dirigée par des puritains fanatiques, tandis que le comte du village, un libertin décadent, organise des cérémonies sataniques pour ressusciter son ancêtre, une femme vampire. Le combat entre le bien et le mal est ici ambigu puisque le film fustige l’hypocrisie, le sadisme et la lâcheté d’une confrérie de religieux puritains qui passent leur temps à brûler d’innocentes jeunes paysannes après des procès expéditifs pour sorcellerie, alors qu’ils n’osent s’attaquer au véritable coupable en raison de son appartenance à l’aristocratie.
Les Sévices de Dracula est le troisième et dernier volet des adaptations très libres du roman noir « Carmilla » de J. Sheridan Le Fanu par la Hammer, après The Vampire Lovers et Lust for a Vampire. La « trilogie Karstein » se termine donc par un film qui se permet en matière de sexe et d’effets sanglants des écarts rendus possible par un certain relâchement des mœurs et de la censure en 1971. Pas de Dracula contrairement à ce que prétend le titre français mais un émule de Satan transformé en vampire par la morsure de son ancêtre ressuscitée par le sang d’un sacrifice humain. Les chasseurs de sorcières, absents de l’œuvre de Le Fanu, proviennent sans doute des récents succès du Grand Inquisiteur et de La Marque du diable. L’érotisme est assuré par les sœurs jumelles Mary et Madeleine Collinson, playmates peu avares de leurs charmes comme le reste de la distribution féminine, avec une profusion de poitrines opulentes et dénudées. Peter Cushing, fidèle au poste, incarne avec un sérieux inquiétant le fanatique religieux Gustav Veil, dans ce qui restera l’un de ses meilleurs rôles.
On gardait un mauvais souvenir de Comtesse Dracula (Countess Dracula, 1971) de Peter Sasdy et une nouvelle vision ne nous a pas permis de changer d’avis. Comtesse Dracula est un film à costumes, qui peine à rivaliser avec l’âge d’or de la Hammer, mais aussi avec les productions réalisées à la même époque. Une nouvelle fois le nom de Dracula est un appât commercial puisque le film s’inspire en fait d’un autre personnage historique réel. Aristocrate du XVe siècle, La comtesse Báthory était une noble hongroise qui fut reconnue coupable d’un nombre élevée d’assassinats (entre 300 et 600.) Elle brûlait vive des jeunes filles, mais elle entra dans la légende pour prendre des bains de sang de vierges, en pensant que le précieux fluide l’aiderait à conserver une jeunesse éternelle. Après un procès qui fut tenu secret pendant plus d’un siècle par l’Eglise en 1611, elle fut emmurée vivante dans son propre château, théâtre de ses atrocités.
Les crimes de la comtesse Báthory ont engendré de nombreux films de qualité, principale source d’inspiration des films de femmes vampires, à égalité avec « Carmilla » de Sheridan Le Fanu. On se souvient de l’épisode des Contes immoraux avec Paloma Picasso, de Cérémonie sanglante de Jorge Grau avec la splendide Lucia Bosé ou des Lèvres rouges de Harry Kümel avec Delphine Seyrig. On est loin du compte avec le film en carton-pâte de Peter Sasdy où tout transpire la laideur et la vulgarité, avec une mention spéciale pour maquillage repoussant de la pauvre Ingrid Pitt, peu crédible en aristocrate qui interprète à nouveau une femme vampire à la cuisse légère un an après s’être dénudée dans The Vampire Lovers de Roy Ward Baker.
Elephant propose aussi en DVD l’intégrale de la série « Hammer House of Horror », reconversion de la firme dans la télévision avec une série en forme d’anthologie d’histoires terrifiantes, soit 13 épisodes de 51 minutes produits en 1980 et faisant appel aux anciens et nouveaux talents de la Hammer devant et derrière la caméra. On est curieux de voir ça.
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