Olivier Père

Frantic de Roman Polanski

ARTE diffuse ce soir à 20h45 le formidable Frantic (1987) de Roman Polanski, dans lequel Harrison Ford interprète un personnage hitchcockien dans la lignée de Gary Grant ou James Stewart (l’intrigue s’inspire à la fois de L’homme qui en savait trop et de La Mort aux trousses.)

Au sortir douloureux de l’expérience coûteuse et catastrophique de Pirates Roman Polanski se refait une santé avec ce thriller tendu et à l’humour très noir qui prend comme terrain de jeu Paris et multiplie les clins d’œil à Hitchcock.

Le cinéma de Polanski a toujours oscillé entre son admiration des classiques anglo-saxons ou hollywoodiens (Carol Reed, Hitchcock, Welles) et un héritage culturel de l’Europe centrale, marqué par l’absurde et la catastrophe. Frantic célèbre les noces, dans le Paris interlope et glauque des nuits pas très fauves des années 80, entre Hitchcock et Kafka. C’est une histoire cauchemardesque dans laquelle un homme ordinaire, médecin américain en voyage dans la capitale pour un congrès, se retrouve confronté, dans une ville hostile et étrangère, à une situation angoissante et incompréhensible : la disparition inexplicable de sa femme quelques heures à peine après leur arrivée à l’hôtel. Les moqueries et l’incrédulité dont il est l’objet de la part des autorités françaises et même de l’Ambassade des Etats-Unis acculent le pauvre docteur à un sentiment de détresse, de solitude comparables à ceux de son frère en paranoïa, le travailleur immigré polonais incarné par Polanski lui-même dans Le Locataire, tourné dix ans plus tôt à Paris. Le cinéaste s’amuse à désacraliser et à tourner en dérision la Ville Lumière et les clichés touristiques qui l’accompagnent, surtout quand elle est filmée d’un point de vue américain. Le film fourmille de décors sordides et d’apparitions grotesques, dans un Paris totalement dépouillé du moindre romantisme. Ce n’est pas un hasard si l’image d’un camion poubelle obstruant la circulation apparaît à plusieurs reprises dans le film, dès son prologue et dans la scène finale. Frantic marque aussi la rencontre, amoureuse et cinématographique, entre Polanski et Emmanuelle Seigner, remarquable dans son premier grand rôle en jeune héroïne sacrifiée. Ceux qui n’on vu dans Frantic qu’un simple thriller à la sophistication vaine et factice, avec « McGuffin », échange de valises et faux-semblants oublient que le cinéma de Polanski n’a jamais parlé que d’hommes et de femmes pris au piège, persécutés et cherchant à survivre à des situations dangereuses, confrontés à une menace venue de l’extérieur ou de leurs propres pathologies. Cette angoisse métaphysique, associée à une perte de repères linguistiques et topographiques – confusion burlesque entre la Statue de la Liberté d’Ellis Island et celle de l’Allée aux Cygnes –  imprègnent Frantic de Polanski, qui connaît mieux que quiconque le point de vue de l’étranger, et l’étrangeté du monde, tout en sachant filmer Paris, Londres, New York ou Los Angeles mieux que personne.

En grand admirateur de Polanski Roger Avary se souviendra du générique de début de Frantic en filmant à son tour en ouverture de Killing Zoe le trajet d’un taxi entre l’aéroport Roissy Charles de Gaulle et Paris, mais en sens inverse.

 

La diffusion de Frantic sera suivie à 22h40 de Roman Polanski : A Film Memoir (2011) de Laurent Bouzereau, documentaire émouvant en forme d’entretien intime avec Roman Polanski qui revient sur sa vie tragique et mouvementée.

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