Olivier Père

Fedora de Billy Wilder

L’été 2013 aura permis une redécouverte partielle de l’œuvre de Billy Wilder avec d’abord le Festival de La Rochelle qui lui a consacré une rétrospective puis la reprise en salles de Spéciale Première (le 7 août), Un, deux, trois (le 14 août), Irma la douce et Fedora (demain), en attendant Stalag 17 (le 11 septembre), la diffusion d’Ariane le 15 septembre sur ARTE et celle un peu plus tard dans l’année de La Vie privée de Sherlock Holmes. On y reviendra.

Pour l’instant, intéressons-nous à l’étrange Fedora (1978), avant-dernier film de Billy Wilder. C’est le seul que nous ayons revu, dans une version restaurée inédite distribuée par Carlotta. Etrange et mal aimé, sanctionné par un échec critique et public au moment de sa sortie, peu vu depuis, Fedora fait sa réapparition cette année en quête de réhabilitation. Ce ne sera pas si facile.

Ce film plus que nostalgique – disons carrément funèbre – se présente comme une nouvelle version de Boulevard du crépuscule, réalisé vingt-huit ans auparavant par le même Wilder, déjà avec William Holden dans le rôle masculin principal. Holden n’a pas soixante ans mais, usé par l’alcool – il décédera quatre ans plus tard – il fait beaucoup plus vieux dans Fedora (photo en tête de texte.) La vieillesse du même, et l’impossible retour d’un âge d’or cinématographique, voilà les thèmes de ce film qui semble ignorer le Nouvel Hollywood déjà déclinant.

C’est un film d’exil tourné en Grèce et dans les décors munichois de la Bavaria société de production allemande. Wilder mal à l’aise devant l’évolution du cinéma de son pays a en effet produit et réalisé plusieurs de ses derniers films sur le vieux continent, comme un repli et un désaveu en face de ce que devenait Hollywood. Un producteur américain sur le déclin (Holden) entreprend un voyage sur l’île de Corfou dans le dessin de convaincre une star légendaire à la retraite, Fedora, d’effectuer un comeback retentissant, en acceptant de tourner dans la nouvelle version d’Anna Karénine dont il veut lui faire lire le scénario. Fedora est toujours aussi belle, mais son entourage – une vieille comtesse paralysée, une dame de compagnie acariâtre, un médecin alcoolique s’oppose fermement à son retour sur le devant de la scène et la garde recluse dans une propriété à l’abri des regards. Le producteur va percer le secret de Fedora…

Boulevard du crépuscule s’ouvrait sur un cadavre dans une piscine, protagoniste du film qui allait nous raconter son aventure en voix-off. Fedora débute par un plan fugace d’une femme se jetant sous un train (cette femme est Fedora et elle choisit de mettre fin à ses jours comme l’héroïne de Tolstoï qu’elle devait incarner à l’écran) suivi par les obsèques grandioses de l’actrice organisées à Paris et auxquelles assistent le producteur (référence à un autre grand film sur le cinéma et le star system, La Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz.)

Marthe Keller dans Fedora

Marthe Keller interprète Fedora

Les multiples visages de Marthe Keller dans Fedora

Les multiples visages de Marthe Keller dans Fedora

C’est donc une nouvelle fois William Holden qui nous raconte en voix off et en flash back cette sombre histoire de déchéance et de transfert. La particularité de Fedora est de révéler la clé de son énigme à mi-parcours, puis de rétablir en discours indirect la vérité du récit, avec le point de vue de l’entourage de Fedora dévoilant les mensonges et les impostures au spectateur préalablement manipulé par Wilder et son fidèle scénariste I.A.L. Diamond, qui adaptent ici un roman de Tom Tryon (écrivain mais aussi acteur pour Preminger notamment.)

Procédé surprenant, un peu comme s’il fallait une heure à Hitchcock pour nous expliquer en images le piège dans lequel est tombé Scottie dans Sueurs froides, ou la double personnalité de Norman Bates dans Psychose (deux films qui ne sont pas sans lien avec Fedora.) Cette construction inhabituelle – qui a pour conséquence de rallonger considérablement la durée du film, l’une des particularité de la dernière partie de l’œuvre wilderienne, où la moindre comédie dure plus de deux heures – peut être considérée comme la contribution de Wilder et Diamond à la modernité et à une forme d’expérimentation narrative – le film coupé en deux – affranchie de la dramaturgie classique. Fedora est un conte morbide qui pleure la disparition d’une certaine idée du cinéma hollywoodien comme usine à rêve avec ses tournages en studios, ses mélodrames en costumes et ses stars divines et inaccessibles – le personnage de Fedora fait ouvertement référence à Greta Garbo. Le cinéma tout entier aurait donc perdu son aura, essentiellement véhiculé par des actrices mythiques et la machinerie irremplaçable des grands studios hollywoodiens. Wilder par l’intermédiaire de son héros grisonnant ne cache pas son mépris pour les nouveaux cinéastes américains qui salissent selon lui l’esthétisme hollywoodien, bannissent le rêve et le glamour des grands écrans, sans parler du cinéma vérité et de la Nouvelle Vague qu’il voue aux gémonies. Un discours réactionnaire assumé pour un film d’une tristesse et d’une cruauté infinies, assez lugubre par moments, qui aurait sans doute gagné à être plus baroque et à exacerber davantage la folie de ses personnages et la perversité des situations. Fedora pèche par son côté « fin de race » : direction artistique problématique, vestige du classicisme hollywoodien (avec une très belle musique de Miklos Rosza), délocalisation en Europe (comme les dernier Minnelli et Preminger), interprétation inégale dominée par William Holden, tandis que les autres acteurs ressemblent à des figures de cire ou des pantins pathétiques. Finalement, c’est à un jeune cinéaste bavarois des années 70 que l’on pense devant Fedora, ses outrances, ses beautés et ses défauts, ou plutôt à ce qu’il aurait pu faire d’une telle histoire : Rainer Werner Fassbinder.

Dans Fedora, le film d'horreur macabre n'est pas loin...

Dans Fedora, le film d’horreur macabre n’est pas loin…

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