Olivier Père

Edouard et Caroline de Jacques Becker

Le  formidable Edouard et Caroline de Jacques Becker, réalisé en 1951 est sorti en DVD édité par Tamasa, avec un livret très instructif signé Charlotte Garçon qui analyse avec beaucoup de justesse le film. Après un détour par les milieux prolétaires (Antoine et Antoinette) et intellectuels (Les Rendez-vous de juillet), Becker réussit au début des années 50 deux comédies légères sur la bourgeoisie qui s’imposent en équivalents français des comédies de Hawks et Lubitsch : Edouard et Caroline et Rue de l’estrapade, toutes deux interprétées par Daniel Gélin et la délicieuse Anne Vernon, dont se souviendra Jacques Demy en lui donnant le rôle de la mère de Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg.

Des deux films Edouard et Caroline est le plus réussi. Il est même franchement génial, l’une des rares comédies françaises – toutes périodes confondues – à supporter la comparaison avec les grands modèles américains. Edouard et Caroline, dans le contexte de la production commerciale de l’époque, propose aussi une approche étonnamment moderne du cinéma qui annonce la Nouvelle Vague avec dix ans d’avance. Becker s’inspire de ses propres scènes de ménage avec sa jeune compagne d’alors, Annette Wademant, pour écrire avec elle un scénario qui sera tourné très vite, dans seulement deux décors d’appartements : celui étroit et modeste du jeune couple et celui très spacieux et luxueux de Claude Beauchamp, l’oncle de Caroline membre de la haute société parisienne. Le film se moque de la grande bourgeoisie en croquant quelques portraits inoubliables et hilarants parmi les invités de la réception organisée par Claude, lui-même interprété de manière grandiose par Jean Galland, irrésistible en snob hystérique et hypocrite qui se vante d’être anglophile et appelle sa nièce « Carolaïne ». On retrouve dans ce salon très bien fréquenté Elina Labourdette (Les Dames du bois de Boulogne de Bresson, Lola de Demy), superbe en mondaine enjôleuse qui se livre à une démonstration publique de son fameux « regard de biche ». Si les riches aiment exhiber leurs sentiments, séduire, se tromper et s’amuser entre eux, ils vivent dans un monde clos et ne tolèrent les étrangers et les roturiers (comme Edouard, pianiste virtuose) que lorsqu’ils peuvent les divertir ou leur apporter du plaisir. Becker se souvient ici de La Règle du jeu dont il livre sa propre version, moins cruelle mais aussi juste. Dans Edouard et Caroline la satire sociale se double d’une étude merveilleuse et pétillante de la conjugalité, avec une sensualité, une vérité et une fraicheur sans égales. Difficile de trouver un film français plus sexy tourné dans les années 50. Le jeune couple se dispute pour une histoire de robe de soirée trop courte. On y retrouve l’amour de Becker pour les femmes belles et élégantes, dont les vêtements sont des promesses qui servent à dissimuler mais aussi à dévoiler les charmes (se souvenir du génial Falbalas, titre définitif sur la mode, l’amour fou et le fétichisme.)

 

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