Olivier Père

L’Innocent de Luchino Visconti

L’un de nos films de chevet ressort cette semaine en salles, grâce à l’heureuse initiative du distributeur Les Acacias.

L’Innocent (L’Innocente, 1976) est l’ultime chef-d’œuvre que Luchino Visconti dirigea de son fauteuil roulant, paralysé par une attaque, peu de temps avant sa mort. Ce drame mondain adapté de D’Annunzio, d’une cruauté et d’une morbidité exceptionnelles, est un adieu glacial au monde et au cinéma qui stigmatise une société aristocratique décadente. Un testament moral et esthétique. Visconti voulait réunir et retrouver une dernière fois devant sa caméra deux acteurs qu’il aimait, Alain Delon et Charlotte Rampling pour interpréter le couple de grands bourgeois de L’Innocent. Devant leur refus, il filmera finalement Giancarlo Giannini et Laura Antonelli, deux comédiens habitués aux comédies légères et frivoles dont se régalait le public italien des années 70 et qui s’en tirent avec les honneurs. Giannini en époux volage et possessif est parfait de lâcheté, de veulerie et de névrose masculine. La belle Laura Antonelli est émouvante de passivité et de sensualité refoulée.

L’innocent du titre, c’est un nouveau né qui sera tué au nom de l’honneur et de l’orgueil. Deux morts concluent l’œuvre de Visconti. Le meurtre prémédité d’un enfant et le suicide de son assassin. Difficile d’imaginer un regard plus pessimiste et sans aucune indulgence sur la laideur d’un monde sans morale où triomphe le droit du plus fort, la violence de classe. L’image qui illustre ce texte est celle du dernier plan du dernier film de Visconti : une femme affolée prend la fuite après avoir découvert le corps de son amant qui vient de se tirer une balle dans le coeur. Une fin désespérée, chaotique.

Longtemps L’Innocent souffrit de la comparaison avec les classiques de Visconti, de Senso à Mort à Venise. Il fut considéré comme un épilogue mineur et fatigué, indigne de ses chefs-d’œuvre. Il n’en est rien. Comme d’autres immenses réalisateurs au crépuscule de leur vie (Dreyer, Lang) Visconti tend ici à une épure de son art, un art qui célébra avec génie et certitude les noces du cinéma et de l’opéra, de la littérature et du théâtre. Avec L’Innocent, Visconti signe un mélodrame sec, implacable, froid comme la mort, aux allures de requiem.

 

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