Olivier Père

Après mai de Olivier Assayas

Nous avons revu avec un plaisir incommensurable Après mai lors d’une projection privée mardi soir. Film admirable qui confirme l’importance d’Olivier Assayas dans le cinéma contemporain, cinéaste en pleine possession de ses moyens et qui n’a jamais été aussi inspiré après les réussites coup sur coup de L’Heure d’été et de Carlos.

Parmi les plus beaux films présentés à Venise puis Toronto Après mai d’Olivier Assayas est la magnifique profession de foi d’un cinéaste qui nous explique d’où il vient (la politique, l’art, la musique) dans un nouveau chapitre – conclusif ? – sur l’héritage post-68, après Carlos et son essai littéraire sur son adolescence et l’influence de Guy Debord.

Passionné par la période de la fin des années 60 et du début des années 70 qui l’ont vu grandir et dont il revendique l’héritage culturel, Assayas n’avait pourtant jamais abordé cette période sur le plan autobiographique. Il lui a fallu d’abord raconter des histoires (L’Eau froide) puis l’Histoire (Carlos) pour enfin oser raconter sa propre histoire, celle d’un jeune étudiant parisien qui va passer du militantisme politique d’extrême gauche à l’apprentissage de l’art et du cinéma, ses véritables passions. Sans oublier l’amour de deux jeunes femmes, amours d’après mai, éveils des sens mais aussi sources d’inspiration artistique. Il s’agit de réfléchir comment un jeune homme impliqué dans le gauchisme va trouver sa voie en choisissant « le » politique contre « la » politique, le désir d’aller voir ailleurs contre la fidélité aveugle et stérile à une idéologie marxiste puis maoïste, se confronter à la réalité et de faire passer des idées dans l’art, y compris un art industriel et commercial comme le cinéma, sans jamais se vendre ou trahir ses idéaux de jeunesse, qu’ils soient esthétiques ou politiques. L’avant-dernière scène montre Gilles (Clément Métayer) à Londres assistant sur le tournage en studio d’un film fantastique de série B avec des Nazis, une fille en bikini et un dinosaure en carton. Cela ressemble à une production Subotsky / Rosenberg réalisé par Kevin Connor alors que dans la réalité Assayas débuta sa carrière comme stagiaire sur les plateaux du Riche et le Pauvre de Richard Fleischer avec son ami Laurent Perrin, disparu cette année et auquel le film est dédié. On devine qu’Assayas s’inspire de sa propre expérience et de ses souvenirs, mais la dimension romanesque du film prédomine. Un romanesque paradoxal et surtout poétique (autant dire proustien) puisque le film est presque entièrement dénué de dramatisation et avance, à coup de ralentissements et d’accélérations (superbe maîtrise du temps cinématographique) sur le chemin du souvenir et de l’évocation. Nous sommes dans une éducation sentimentale et une comédie humaine capable d’englober à partir d’un destin personnel toute la société française de l’époque, avec ses différentes classes et ses différents milieux tous parfaitement décrits par Assayas. Et même au-delà de la France, puisque le film offre de très belle incartades italiennes et londoniennes, témoignage de la curiosité et du goût précoces d’Assayas, le plus international des cinéastes français, pour les voyages et la découverte de cultures différentes (il sera l’un des premiers en France, en tant que critique mais aussi cinéaste, à s’intéresser au cinéma asiatique.)
Après mai est aussi le film le plus sensuel et solaire d’Assayas qui filme avec une émotion qu’on ne lui connaissait pas toujours les aventures amoureuses de son héros, la beauté des corps juvéniles et l’extraordinaire grâce des comédiennes, en particulier Lola Créton (déjà remarquable dans Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve l’année dernière) et la révélation Carole Combes, parfaite brune et ténébreuse beauté qui se brûle aux excès de l’époque (drogue, folie, suicide), réveillant l’ensorcelant fantôme de Tina Aumont.
Dans son talent à capter l’état de jeunesse, à reconstituer une époque, à styliser la réalité mais aussi les sentiments, Assayas rejoint ses maîtres Bresson (on pense beaucoup à l’érotisme du sublime Quatre Nuits d’un rêveur), Antonioni (rester contemporain malgré une incursion dans un passé récent qui communique toujours avec le présent), Visconti (élégance souveraine et naturelle, fétichisme assumé pour les objets, les accessoires, les étoffes, mais surtout les collections de vinyles et les pochettes de 33 tours.)

Impossible de dissocier la mise en scène et l’écriture d’Olivier Assayas de la splendide photographie d’Eric Gautier et du non moins splendide montage de Luc Barnier, décédé en septembre dernier et collaborateur de longue date du cinéaste.

Le film sort en France mercredi 14 novembre, distribué par MK2 qui l’a également produit.

 

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