L’Etrange Créature du lac noir (Creature from the Black Lagoon, 1954) ressort cette semaine sur les écrans, en 3D numérique, grâce à l’heureuse initiative du distributeur Carlotta.
Tandis que la 3D envahit aujourd’hui les écrans de cinéma (et de télévision), il y eut un premier âge d’or de la 3D (on disait alors « le relief ») dans les années 50, à Hollywood, en même temps que la généralisation de l’usage de la couleur et de l’arrivée du format Cinémascope, afin de combattre la concurrence déloyale de la télévision qui s’installait dans les foyers américains. Finalement c’est le Cinémascope qui s’était imposé plutôt que le relief, car plus pratique à exploiter commercialement, moins compliqué et couteux à produire et finalement plus spectaculaire. Il faudra attendre Robert Zemeckis et James Cameron pour que la 3D, bénéficiant de l’avancée technologique, fasse un retour fracassant (définitif ou provisoire).
Les fleurons de l’âge d’or du relief hollywoodien concernent principalement la science-fiction et le fantastique, bien qu’il y ait eu aussi des westerns et des thrillers en relief dans les années 50, parfois signés par des grands metteurs en scène comme Raoul Walsh, Douglas Sirk et Alfred Hitchcock, mais qui furent la plupart du temps exploités en 2D en dehors du territoire américain. Les cinéphiles étaient souvent contraints de se contenter d’une version plate et frustrante. Ce fut le cas des deux incontournables films de Jack Arnold Le Météore de la nuit (le film à l’origine de la vocation de John Carpenter, classique important de la science-fiction moderne) et cette mythique Créature du la noir, toujours aussi poétique, qui inaugura il y a fort longtemps (le début des années 80) une tentative de relief à la télé française à l’initiative de « La Dernière Séance de Gérard Jourd’hui » et Eddy Mitchell.
L’étrange créature du titre, connue sous son nom anglo-saxon de « Gillman », est une sorte d’homme poisson, chaînon manquant entre la faune sous-marine et terrestre, anomalie préhistorique vivant dans un lac amazonien selon une vieille légende et dont une expédition d’ichtyologistes va tenter de percer le mystère. Le « Gillman » , créé par l’équipe du célèbre chef maquilleur Bud Westmore, est sans doute l’un des plus beaux monstres de la Universal (un studio spécialiste en la matière, producteur des nombreux films de Dracula, Frankenstein, loup-garou, momie, etc.) et de l’histoire du cinéma, et comme King Kong c’est un monstre amoureux qui n’est pas insensible aux charmes d’une jeune scientifique, avec une séquence mémorable de ballet aquatique où la créature suit sous l’eau la baignade de la belle, avant d’essayer de l’enlever. La poésie du film, hormis son pittoresque héros amphibie, provient de la captation de la jungle et de sa faune, mélange de stock shots et de reconstitution en studio. Malgré ces artifices, le film procure une surprenante sensation documentaire, validée par les débuts de Jack Arnold comme assistant de Robert Flaherty sur Louisiana Story, beau film fameux pour ses plans d’animaux sauvages.
On peut se féliciter que ce film, contrairement à presque tous les autres classiques du cinéma fantastique, n’a jamais fait l’objet d’un remake, même si le projet a longtemps été évoqué. En revanche le succès du film entraîna deux suites immédiates produite par Universal-International : La Revanche de la créature de Jack Arnold en 1955 et La créature est parmi nous de John F. Sherwood, forcément moins bonnes mais toujours sympathiques. Parmi les avatars dégénérés du « Gillman », on compte les hommes poissons en carton de Sergio Martino (la série B italienne Le Continent des hommes poissons en 1979) et les mutants aquatiques baveux et violeurs des Monstres de la mer (Humanoids from the Deep, 1980) de Barbara Peeters, une production Roger Corman pour New World.
Profitons de la reprise de L’Etrange Créature du lac noir pour saluer la parution d’un ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Rauger, coédité par la Martinière et la Cinémathèque française à l’occasion du centenaire des studios Universal : « Cent ans de cinéma », avec des textes sur la création du studios, ses principaux producteurs, ses genres de prédilection (le fantastique bien sûr, mais aussi ses séries comiques vedettes comme Abbott et Costello ou Francis le mulet qui parle).
Ce beau livre (auquel j’ai participé en écrivant un texte sur l’excentrique producteur Albert Zugsmith) accompagnera une rétrospective à la Cinémathèque française du 5 décembre au 2 mars, avec pas moins de cent films produit par Universal, tous recensés dans l’ouvrage. On y reviendra sans doute, car il y a là beaucoup de films qu’on adore et qu’on a envie de revoir.
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