Dans la tourmente festive de cette 65ème édition, nous avons appris la disparition de Carlo Rambaldi (photo en tête de texte, avec E.T.), magicien des effets spéciaux, survenue le 10 août 2012. Nous éprouvons le besoin de revenir sur cette triste nouvelle car Rambaldi est un nom mythique pour tous ceux qui ont grandi dans les années 80 avec l’amour du cinéma fantastique et de science-fiction. Rambaldi a eu une riche et longue filmographie d’abord en Italie puis à Hollywood. Né le 15 septembre 1925 dans la province de Ferrare en Emilie-Romagne, Rambaldi est peintre et sculpteur de formation. Il débute sa carrière à Cinecittà à la fin des années 50. C’est l’époque des « péplums » et Rambaldi participe à plusieurs productions de séries B. Son premier film est Le Chevalier blanc (Sigfrido, 1957) de Giacomo Gentillomo, une nouvelle adaptation de la légende des Nibelungen pour laquelle il construit un dragon cracheur de feu grandeur nature, soit seize mètres (sans être crédité au générique).
Il crée à nouveau un dragon pour le film suivant, Persée l’invincible d’Alberto De Martino (1963). Les trucages sentent bon le carton pâte, car à cette époque les techniques des effets spéciaux et les matériaux sont plus ou moins les mêmes que l’ont utilisait au temps du cinéma muet. Mario Bava, lui-même spécialiste des effets visuels, fait appel à lui pour les trucages et maquillages de Terrore Nello spazio, L’Odyssée (réalisée pour la télévision, Rambaldi conçoit un cyclope convaincant) et La Baie sanglante (nombreuses morts violentes). La mode du film d’horreur succède à celles des aventures mythologiques et Rambaldi participe à quelques nanars ou perles du cinéma bis sanguinolent, comme Filles pour le bourreau (Il boia scarlatto) et son araignée géante, Le Venin de la peur (Una lucertola con la pelle du donna) de Lucio Fulci, La Nuits des diables (La notte dei diavoli) de Giorgio Ferroni, Les Orgies de Frankenstein (Frankenstein ’80) et son meurtre à coup de gigot… Pour le film de Fulci, Rambaldi réalise des faux chiens pour une séquence de vivisection si réaliste que le réalisateur aura des ennuis avec la justice et devra prouver avec la complicité du maquilleur qu’il n’a pas éventré de vrais animaux.
La période « gore » européenne de Rambaldi culmine avec les deux productions Carlo Ponti réalisées par Paul Morrissey avec le nom d’Andy Warhol comme caution publicitaire et Antonio Margheriti pour la supervision technique : Chair pour Frankenstein (en relief) en 1973 et Du sang pour Dracula (1974) avec la même distribution artistique, comptent parmi les films fantastiques les plus décadents de l’histoire du cinéma, avec leur mélange d’érotisme, de satire sociale et de Grand-Guignol. C’est pour cela qu’on les adore. Ces aberrations filmiques, super films bis génialement mis en scène, interprété (immense Udo Kier en baron Frankenstein et en Comte Dracula dégénérés) et photographiées ne peuvent pas s’imaginer sans les hectolitres de sang, les monceaux de barbaque avariée, et les organes exhibés devant la caméra. Les films anarchistes et iconoclastes de Morrissey sont un festival de décapitation, empalement, éventration, vomissements orchestrés par un Rambaldi en grande forme. Un an plus tard, Rambaldi participe aux Frissons de l’angoisse (1975) de Dario Argento, autre titre majeur du genre. Un an plus tard, grâce au grand producteur italien Dino De Laurentiis parti à Hollywood avec des projets mégalomanes, Rambaldi passe à une étape supérieure avec une superproduction américaine (même si il avait participé dans sa jeunesse à des énormes films historiques tournés en Italie, Cléopâtre de J. L. Mankiewicz et La Bible de John Huston, déjà produit par De Laurentiis). Le remake de King Kong (1976), très beau si on le revoit aujourd’hui, suscita de nombreuses controverses au moment de sa sortie en 1976, malgré son immense succès commercial. On reprocha à De Laurentiis de s’attaquer à un chef-d’œuvre absolu, le King Kong original de 1933. On reprochera aux responsables des effets spéciaux de faire moins bien que le génial Willis O’Brien et ses marionnettes animées image par image. Ce n’est pas faux. Le King Kong de 76 opte pour un homme dans un costume de singe (comme dans les films de monstres japonais), des masques pour les gros plans (créés par Rick Baker et Rob Bottin, deux génies des trucages qui ne sont pas crédités au générique et critiqueront beaucoup par la suite le travail effectif et la qualités des effets spéciaux de Rambaldi) et aussi pour un faux singe grandeur nature fabriqué par Rambaldi et qui sera peu utilisé finalement. Rambaldi construit aussi les bras et les mains articulés de King Kong pour les scènes où Jessica Lange est dans les paluches du gros gorille. C’est la fameuse technique de la mécatronique, avec des créatures animées à distances grâce à l’électronique. Rambaldi obtient pour King Kong son premier Oscar, partagé avec Glen Robinson et Frank Van der Veer.
Rambaldi rempile à Hollywood avec Rencontres du troisième type de Steven Spielberg pour lequel il conçoit les costumes des extraterrestres qui apparaissent à la fin du film, silhouettes d’enfants hydrocéphales nimbées de lumière aveuglante. Son film suivant est un autre classique de la science-fiction moderne, Alien (1979) de Ridley Scott pour lequel il fabrique la tête de la fameuse créature extraterrestre, imaginée par le sculpteur et artiste suisse H.R. Giger. Nouvel Oscar pour les effets spéciaux visuel partagé cette fois-ci avec Giger, Brian Johnson, Nick Allder et Dennis Ayling.
Rambaldi retourne travailler en Europe et imagine la creature du génial Possession (1981) d’Andrzej Zulawski. Le cinéaste polonais commande à Rambaldi un monstre sexuel et tentaculaire aux formes phalliques, quelle ne fut pas sa surprise lorsque l’artiste italien lui proposa une sorte de poulpe qui selon Zulawski ressemblait à un préservatif géant ! Mais le résultat final, sur l’écran (la scène d’étreinte amoureuse entre Adjani et son amant inhumain), est très impressionnant.
Retour aux Etats-Unis avec E.T. l’extra-terrestre (1982) de Steven Spielberg, et troisième Oscar pour Rambaldi (partagé avec Dennis Muren et Kenneth Smith). Le film de Spielberg marque l’apogée de la carrière de Rambaldi, qui va ensuite s’embarquer dans des ratages monumentaux sous la houlette de De Laurentiis.
Dune (1984) fut un désastre financier et un échec artistique, mais il faut avouer que le space opera de David Lynch ne manque pas de panache. C’est un péplum de l’espace qui donne la vedette aux décors construits en dur dans des studios mexicains. Rambaldi invente plusieurs créatures dont les fameux vers des sables géants qui comptent parmi ses plus belles créations. Conan le destructeur (1984) suite du film de Milius réalisée par Richard Fleischer ne compte pas parmi les réussites ni du cinéaste, ni du producteur, ni de Rambaldi, ni du grand directeur de la photographie Jack Cardiff qui ne parvient pas à rendre crédible un monstre si pauvrement animé et fabriqué. En voyant le monstre Dagoth qu’il créée pour ce film d’Heroic Fantasy on a le sentiment que Rambaldi est un homme du passé, dont les créations si elles ne sont pas transcendées par une excellente équipe technique et un cinéaste visionnaire conservent une dimension artisanale qui ne manque pas de charme mais tranche avec l’obsession du réalisme des films américains. Les choses se gâtent encore plus lorsque De Laurentiis décide de produire une suite de King Kong en 1986, gigantesque nanar totalement anachronique où tout est ringard, y compris et surtout les déguisements de singe et les maquettes des effets spéciaux. Rambaldi avait commencé dans le cinéma bis italien et c’est là qu’il termine aussi puisqu’il arrête le cinéma avec une série Z d’horreur réalisée par son propre fils Vittorio, Rage, furia primitiva (1988) et écrite par Umberto Lenzi. Triste fin pour le grand artiste aux trois Oscars, dont le travail appartenait depuis longtemps à l’histoire, maintenant que les effets spéciaux mécaniques ont laissé la place aux trucages numériques qui ont révolutionné, pour le meilleur mais aussi le pire, le cinéma fantastique et de science-fiction.
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