Olivier Père

Lilith de Robert Rossen

Lilith (1964)

Lilith (1964)

Aux antipodes de la folie baroque de Shock Corridor, de la folie décorative de La Toile d’araignée ou de la folie allégorique de Vol au-dessus d’un nid de coucou, il faut redécouvrir Lilith (1964), l’un des films les plus secrets du cinéma américain, qui compte de trop rares admirateurs. Robert Rossen termina prématurément sa carrière avec un chef-d’œuvre, Lilith, doublé d’un film maudit. La filmographie de Robert Rossen, scénariste devenu cinéaste qui signa plusieurs classiques (Sang et Or, Les Fous du roi, L’Arnaqueur) et future victime (mais aussi un dénonciateur) de la chasse aux sorcières, ne laissait pas présager un titre ultime comme Lilith. Rossen, gravement malade devait mourir deux ans après la sortie du film, à l’âge de cinquante-sept ans. Lilith raconte l’histoire d’un jeune homme mal dans sa peau (il revient de la guerre et vit dans le souvenir de sa mère morte alors qu’il était encore enfant) qui se fait embaucher comme aide soignait dans une clinique psychiatrique. Il ne tarde pas à tomber amoureux d’une patiente, Lilith, une jeune schizophrène, et découvre que cette dernière entretient des relations sexuelles indifférenciées avec d’autres malades de la clinique et aime séduire les petits garçons. La fréquentation de l’univers de la folie finit de déstabiliser Vincent, dont la mère était folle, et l’impossible histoire d’amour entre les jeunes gens aura une issue tragique. Chronique provinciale, drame psychologique, peinture d’une institution psychiatrique (la même année qu’Un enfant attend de John Cassavetes, production Stanley Kramer et autre film d’écorché vif), Lilith est surtout un essai de cinéma poétique qui détonne dans la production hollywoodienne. Si à la même époque le cinéma moderne explose en Europe (Bergman, Pasolini, Godard), le film de Rossen, qui ne leur doit pourtant rien, s’éloigne des canons esthétiques du cinéma à thèse américain. Car malgré son sujet, son approche de thèmes sexuels scabreux, le film délaisse les sentiers battus pour s’engager sur les chemins rarement explorés au cinéma de la description de l’âme des personnages. Ce n’est jamais lourdement psychologique et encore moins théorique, mais au contraire sensuel, incarné : mélange de réalisme et d’onirisme, sublimation de la nature, surimpression et fondus enchaînés confère au film un climat envoûtant et trouble, associé à une description d’une subtilité incroyable des caractères, à mille lieux des cliché hollywoodiens sur la maladie mentale. Et il y a le couple magnifique formé par Warren Beatty et Jean Seberg. La carrière de l’une est déjà presque terminée (du moins aux Etats-Unis : on peut considérer Les Hautes solitudes comme la suite tragiquement logique, autobiographique et européenne de Lilith) tandis que celle de l’autre ne fait que commencer, avec dès le début des choix courageux et intelligents : L’Ange de la violence de John Frankenheimer et Mickey One d’Arthur Penn encadrent Lilith dans la filmographie de Warren Beatty. Ce sang neuf d’acteurs encore presque vierges (il ne faut pas oublier la présence extraordinaire des débutants Peter Fonda et Gene Hackman) souligne la modernité de Lilith. Un film sur la fêlure comme il y en a peu, qui annonce le Wanda de Barbara Loden.

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