Le premier – et sans doute le plus beau – chef-d’œuvre de l’année 2012, Tabou de Miguel Gomes a été révélé lors du Festival de Berlin, où il a été scandaleusement – mais c’était hélas prévisible – oublié au palmarès. Qu’importe. Tabou est ce que les anglo-saxons appellent un classique instantané, et apporte une preuve éclatante que Miguel Gomes, après La gueule que tu mérites et Ce cher mois d’août, est l’un des meilleurs cinéastes contemporains.
De quoi parle Tabou ? De la vie d’une femme, tout simplement, racontée sur un mode totalement nouveau qui convoque à la fois la poésie, la littérature et le cinéma muet. Malgré son titre murnaldien (le film aurait dû à l’origine s’intituler « Aurora », du nom de son héroïne), Tabou n’est pas un film de références cinéphiliques, un pastiche ou un hommage, mais plutôt un film qui retrouve les origines du cinéma, les émotions et les surprises que pouvaient procurer aux premiers spectateurs les images projetées sur un écran blanc. Un film élémentaire, qui nettoie les yeux. Là où Tabou est frère des films de Murnau, mais aussi de Mizoguchi ou de Renoir (autant dire les plus grands), c’est dans la façon où il accède à une forme de pureté absolue dans le brassage d’une matière, artistique et vivante, très hétérogène, faite de ruptures de ton et de mélange de genre. C’était déjà le cas de La Gueule que tu mérites (film coupé en deux) et Ce cher mois d’août (film monde entre fiction, essai et documentaire). Dans Tabou, le monde devient cosmos, et c’est l’espace et le temps qui se mêlent pour une sublime histoire d’amour impossible qui avance longtemps cachée – le film est absolument imprévisible, délivrant merveilles après merveilles – avant de s’épanouir dans la dernière partie du film. Passé et présent, Portugal et Afrique, slapstick et mélodrame, vie et mort, hommes et animaux, serviteurs et maîtres, silences et chansons sont les ingrédients d’un poème d’images et de sons qui ressuscite avec beaucoup de mélancolie un monde éteint, un âge d’or, un paradis perdu, qui fait rire et pleurer à cause de ses péripéties mais aussi parce qu’on a le sentiment pendant la projection d’assister à un miracle égaré dans une époque qui ne le mérite pas. Ils sont rares les films qui donnent l’impression de réinventer le cinéma, de nous offrir une expérience inoubliable, où tout est grâce. Tabou est de ces films.
Sortie prévue en décembre en France, on aura l’occasion d’en parler encore, et de le revoir.
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