Olivier Père

Videoderive dell’arte_3. Lo sguardo sincrono

Le Museo Villa dei Cedri, à Bellinzona propose du 2 au 25 août une programmation de films sur l’art, des origines jusqu’aux dernières vidéo du genre, signés Henri Alekan, Robert Breer, Luciano Emmer, Joël Godfroid, Luciano Rigolini, Frédéric Rossif, Mario Sasso, Gianni Toti, Giacomo Verde…
Ce sera l’occasion de voir ou revoir quelques-uns des très beaux courts métrages de Luciano Emmer, un des pionniers du film d’art dans le cinéma de l’après-guerre.
La carrière de Luciano Emmer (1918-2009) est une des plus atypiques du cinéma italien d’après-guerre. Son œuvre protéiforme possède ses admirateurs et ses exégètes, mais elle demeure sous-estimée et encore à découvrir pour la majeure part des cinéphiles, hors de l’Italie.
Comme réalisateur de longs métrages, Emmer s’est illustré dès son premier film en 1950 Domenica d’agosto, produit et écrit par Sergio Amidei, comme un fin analyste de la société italienne, grâce à une mosaïque de portraits et d’histoires ironiques. Ce coup d’essai demeure sans doute le chef-d’œuvre de son auteur. Emmer va ensuite mettre son style presque documentaire, son regard juste et son ton subtil au service de comédies de mœurs sympathiques et mais jugées mineures par les critiques de l’époque : Parigi è sempre Parigi (1951), Le ragazze di Piazza di Spagna (1952), Terza liceo (1953), Camilla (1955), Il bigamo (1956). Après l’excellent La ragazza in vetrina (1961), drame sur les ouvriers émigrés en Belgique, Emmer renonce au cinéma et se consacre exclusivement à la télévision, au documentaire et à la publicité. Il travaille pour la Rai où il est l’un des inventeurs du très populaire programme télévisé « Carosello ». Il faudra attendre 1990 pour qu’il envisage un retour discret à la fiction cinématographique avec Basta ! Adesso tocca a noi  suivi de Una lunga lunga lunga notte d’amore (2001), L’aqua… il fuoco (2003) e Le flame del paradis (2006), sans vraiment renouer avec le succès de ses débuts. Aussi réussis soient-ils, ce n’est pas grâce à ses comédies et ses longs métrages  que Luciano Emmer a laissé une empreinte considérable dans l’histoire du cinéma italien. Il restera comme un essayiste hors pair et un très grand réalisateur de courts métrages sur l’art. Genre à part entière, le film d’art connaît une véritable mode à la fin des années 40 et dans les années 50, suivant les mouvements de démocratisation de l’accès à la culture après la Seconde Guerre mondiale en Europe, avec des contributions majeures de grands cinéastes comme Alain Resnais (Van Gogh, Guernica, Gauguin, Les statues meurent aussi…) ou Henri-Georges Clouzot (Le Mystère Picasso). Mais Emmer est un pionner dans ce domaine, et un des rares cinéastes à avoir élaboré une œuvre en filmant l’art, de ses tout débuts jusqu’à la fin de sa vie. Ses films courts mais brillants furent très vite montrés par Henri Langlois à la Cinémathèque française et Alain Resnais ne cacha pas sa dette envers le cinéaste italien. Passionné de peinture et de cinéma, Emmer fonde en 1941 une petite société de production, Dolomiti film avec Enrico Gras qui sera son associé jusqu’en 1949. Les deux hommes vont révolutionner l’approche du film d’art. Emmer s’intéresse principalement à l’art figuratif qu’il met en scène de manière dramatique grâce à un montage expressif et des mouvements de caméra qui fragmentent les tableaux pour leur donner une dimension cinématographique et narrative. Ces techniques de mise en scène sont déjà très au point dans le deuxième court métrage du tandem (auquel on doit ajouter Tatiana Graunting, co-scénariste), réalisé en 1941 après La sua terra : Racconto di un affresco sur les splendides fresques de Giotto de la chapelle des Sgrovengi à Padoue, présenté à la Mostra de Venise et qui passe à l’époque pour une œuvre expérimentale. C’est en effet le film d’un pionner, annonçant les tendances modernes qui vont animer le film d’art lors des décennies suivantes. Les courts métrages d’Emmer constituent une approche progressive et passionnante à l’œuvre d’art, fidèle au principe qu’il y a une manière scientifique de filmer les œuvres et qu’il y en a une « que nous pourrions définir poétique », la seule qui nous permette d’expérimenter un rapport d’intimité avec celles-ci. C’est grâce à leur refus de fournir une lecture académique de l’histoire de l’art que ces expériences cinématographiques fascinantes sont aussi des introductions rares et insolites au monde des arts figuratifs. Après ce coup de maître, Emmer consacrera des films à Bosch, Carpaccio, Leonardo, Michelangelo, Picasso, continuant son exploration personnelle de l’histoire de l’art entre deux longs métrages plus commerciaux. En 1951, Emmer réalise un film sur Goya, deux ans après Les Désastres de la guerre de Jean Grémillon. Le court métrage d’Emmer s’inspire également de la série d’eaux-fortes réalisées par Goya entre 1810 et 1820, et livre un montage magistral des visions monstrueuses de Goya relatant les massacres perpétrés par l’armée napoléonienne en 1809 sur la population espagnole. De même que Giotto illustrait la Bible, Goya met en image l’histoire à la manière d’un reporter, et Emmer parvient génialement à insuffler temps et mouvement aux créations du peintre.

Angelo: Luciano Emmer, Racconto da un affresco, 1940. Photo, concession de la part de la Cinétèque municipale de Bologna.Angelo: Racconto da un affresco de Luciano Emmer (1940). Photo concédée par la Cinémathèque municipale de Bologne.

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