Franc-tireur du cinéma français, Alain Guiraudie s’est fait remarquer dès ses premiers courts, moyens et longs métrages (Du soleil pour les gueux, Pas de repos pour les braves, Le Roi de l’évasion) par son approche singulière du monde ouvrier, de la ruralité et de l’homosexualité, inventeur d’un univers à la fois poétique et naturaliste où se mêlaient références à l’heroic fantasy, mythologie sociale et humour pataphysique.
L’Inconnu du lac marque une rupture dans le cinéma de Guiraudie ou plutôt une épure. On a l’impression que le cinéaste débarrasse son film d’un folklore qu’il avait lui-même inventé, pour gagner en profondeur et en universalité.
Avec une impressionnante économie de moyens (décor unique, tournage exclusivement en extérieur et en lumière naturelle, quelques acteurs et très peu de vêtements) Guiraudie réussit un film qui est à la fois une histoire d’amour et de sexe, un film criminel au suspense diabolique et une réflexion sur la solitude.
L’Inconnu du lac se déroule sur une plage naturiste qui est un rendez-vous et un lieu de drague pour les homosexuels de la région. Franck a pris l’habitude de s’y rendre régulièrement. Il y fait la connaissance d’Henri, un quinquagénaire bedonnant et renfrogné qui semble venir là surtout pour jouir de la tranquillité du paysage, sans se soucier des baignades ou des rencontres sexuelles. Les deux hommes conversent au bord de l’eau et deviennent amis. Ces scènes comptent parmi les plus bouleversantes du film, morceaux de temps suspendu où des dialogues magnifiques dévoilent la part secrète du film, méditation mélancolique sur le sexe, l’amour, la solitude et l’amitié.
Un jour, Franck aperçoit un baigneur au corps d’athlète, Michel. L’attirance physique se transforme très vite en passion amoureuse. Michel est beau, charismatique, puissant, mystérieux, dangereux. Un soir Franck l’a aperçu en train de noyer l’un de ses amants de passage. Franck ne dit rien à la police, car son attirance pour Michel est plus forte que sa peur. Le film avait débuté comme une ode panthéiste et hédoniste au plaisir, à la parole et à la nature (quelque part entre Ford et Renoir, les fesses à l’air), il se termine comme un thriller fantastique hitchcockien (la menace vient de l’être aimé, comme dans Soupçons ou L’Ombre d’un doute) où les forces de la nuit et de la violence engloutissent tout, y compris le désir et la tendresse.
Le nouveau film d’Alain Guiraudie est aussi son meilleur. Le cinéaste acquiert une étonnante maturité autant sur le plan de la mise en scène (classicisme somptueux) que des thèmes abordés : après le sexe vécu comme une partie de rigolade entres potes, L’Inconnu du lac révèle la dimension sombre et grave de l’amour et de l’érotisme « acceptation de la vie jusque dans la mort. »
Rien de pornographique ni de choquant dans les nombreuses étreintes en plein air qui ponctuent le film, mais l’affirmation triomphante de l’érotisme tel que l’a défini Georges Bataille.
Un film de gay fait pour les gays ? Alors là, pas du tout ! C’est même tout le contraire d’un cinéma militant ou revendicatif.
Guiraudie dans L’Inconnu du lac met en scène des interrogations et une quête humaine qui nous concernent tous, même si le cinéaste est conscient des particularités de l’homosexualité et qu’il n’hésite pas à se montrer critique, où du moins dialectique à propos de certaines pratiques et coutumes. « Vous avez une drôle de façon de vous aimer » déclare le policier chargé de l’enquête, sans la moindre homophobie mais avec beaucoup de compassion. L’Inconnu du lac, c’est aussi l’histoire des drôles de chemins qu’on est prêt à emprunter et des risques qu’on est prêt à prendre quand on tombe amoureux…
L’Inconnu du lac est produit par Sylvie Pialat (Les films du Worso) comme son précédent (l’excellent Roi de l’évasion que j’avais présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2009) et ARTE France Cinéma est entré en coproduction sur le film après tournage. D’ores et déjà l’un des plus beaux films de Cannes et du cinéma français de l’année. Nous y reviendrons à l’occasion de sa sortie. Il n’y a aucune chance pour que L’Inconnu du lac soit nommé aux Césars dans la catégorie des meilleurs costumes.
Le film sortira en salles le 12 juin, distribué par Les Films du Losange.
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