Olivier Père

I… comme Icare de Henri Verneuil

ARTE diffuse I… comme Icare de Henri Verneuil dimanche 15 janvier à 20h50, dans le cadre d’une soirée en hommage à Yves Montand. Ce film, malgré son succès à sa sortie fin 1979, n’est pas disponible en DVD en France pour des raisons qu’on ignore, et ARTE France a participé à sa restauration numérique en haute définition pour sa diffusion sur notre antenne. C’est donc une bonne occasion pour certains d’entre nous de se replonger dans des souvenirs d’enfance. Au cinéma ou à la télévision, ce film a laissé une empreinte dans la mémoire de nombreux spectateurs, happé par un projet inhabituel, dans sa forme et son sujet. C’est un projet un peu fou dans la carrière de Verneuil. Ses quelques films internationaux et sa brève expérience américaine dans les années 60 lui ont sans doute donné l’envie, lors de la création de sa propre société de production, de s’affranchir de certaines règles du cinéma commercial français dont il fut l’un des plus prolifiques artisans – Verneuil fut longtemps le réalisateur attitré de Fernandel, et l’employeur régulier du star system tricolore (Gabin, Delon, Belmondo).

Avec I… comme Icare, Verneuil a l’ambition de rivaliser avec les fictions de gauche italienne, les films dossiers de Costa-Gavras (il lui emprunte Yves Montand) ou Francesco Rosi, mais aussi les thrillers paranoïaques américains. A sa manière. Le projet peut surprendre dans la filmographie d’un réalisateur peu porté sur le militantisme ou la géopolitique. Mais Verneuil entend apporter sa contribution à un cinéma en prise directe avec l’histoire contemporaine la plus brûlante, ses complots et ses affaires troubles. Au-delà de l’engagement ou de la prise de conscience, il s’agit de mettre en marche une machine fictionnelle imparable, un thriller sans temps mort. On peut s’étonner de la décision de Verneuil et de son scénariste Didier Decoin de situer l’action du film dans un pays imaginaire, dont le drapeau rappelle celui des Etats-Unis et la devise est le dollar, mais dont les décors urbains modernes (ceux de Cergy-Pontoise) et les personnages (nombreux seconds rôles, souvent bien choisis parmi des comédiens de théâtre) renvoient immanquablement au paysage familier du cinéma français. Cela ne fait que déréaliser davantage un récit sans zone d’ombre, qui se déroule sous une lumière froide, entre les mains d’un réalisateur qui ne craint pas d’exhiber les artifices cinématographiques – les maquettes de la ville derrière les baies vitrées du bureau de Volney, construites dans les studios de Joinville – comme si toute cette histoire de meurtres impunis, de main basse sur la démocratie, de complots à échelle mondiale n’était qu’un mauvais rêve, une vaste mascarade.

Le film s’inspire de manière évidente de l’assassinat de John F. Kennedy et de l’enquête de Jim Garrison après le rapport biaisé de la commission Warren, et en arrive aux mêmes conclusions que le procureur américain : le président a été assassiné par les services secrets de son pays, avec la complicité de la mafia qui a servi d’intermédiaire. Verneuil réutilise certains détails et éléments célèbres de l’affaire Kennedy, comme l’homme au parapluie, la photo truquée du tueur présumé avec un fusil, la disparition successive de certains témoins ou le film de Zapruder. De manière plus étrange encore, il insère dans l’enquête du procureur Volney (Yves Montand) une large séquence consacrée à l’expérience de Milgram, sur la soumission à l’autorité, pour expliquer la sélection d’un individu psychotique et facilement manipulable dans le rôle du faux coupable idéal. Le film n’a pas peur de certaines outrances, naïvetés et invraisemblances. Verneuil décrit un univers glacial et cauchemardesque, resserre les cercles d’un piège inexorable dans lequel Volney, muré dans sa solitude, finira par tomber en s’approchant trop près de la vérité. Comme à son habitude Ennio Morricone délivre un thème musical à la fois savant et hyper efficace, qui achève de rendre la séquence finale inoubliable.

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2 commentaires

  1. Jasp dit :

    Pensez-vous que le nom de l’un des personnages clés du film, Carlos De Palma, est un clin d’œil à un cinéaste américain obsédé par l’assassinat de Kennedy, Brian De Palma ?

    • Olivier Père dit :

      Bonne question que je me suis posé aussi mais je n’ai pas la réponse. Il faudrait le demander au scénariste Didier Decoin. Le film de Verneuil date de 79 donc deux ans avant Blow Out. Cela voudrait dire que Verneuil ou Decoin connaissaient déjà, en ayant vu Greetings qui pourtant n’avait jamais été distribué en France, l’obsession de De Palma pour l’assassinat de JFK et le film Zapruder… il peut s’agit d’une simple coïncidence.

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