Après l’avoir lu, j’ai placé ce livre dans ma bibliothèque entre un ouvrage récent sur Raoul Walsh et les mémoires de Dino Risi, Mes monstres, traduites en 2014. C’est ma manière de saluer d’un clin d’œil amical Pascal Thomas, proche des « mac-mahoniens » par sa cinéphilie. Il a toujours admiré les grands cinéastes hollywoodiens et a même écrit certains de ses films avec Jacques Lourcelles. Il m’a un jour confié que le livre de Risi serait sa référence absolue si on lui demandait d’écrire un livre de souvenirs, terme plus exact qu’autobiographie pour désigner ce recueil d’anecdotes qui retracent l’itinéraire d’une vie marquée par le goût du bonheur, du cinéma et de la littérature, écrit avec la complicité du journaliste et producteur Alain Kruger et du critique et historien Jean Olé-Laprune, spécialiste du cinéma français. Le livre et constitué de chapitres très courts, presque des fragments, qui évoquent chacun un moment particulier, une rencontre, un tournage, une aventure de production, son goût du jeu (la fameuse « martingale » qui lui permit de financer un film), un souvenir cocasse, un gag, un voyage, un échec ou un succès, dans un ordre relativement chronologique. Ce vagabondage contient aussi des considérations plus générales sur le métier de cinéaste. Pascal Thomas nous renseigne sur la manière dont il envisage l’écriture et la réalisation de ses films : toujours avec enthousiasme et anticonformisme, en laissant ouverte les fenêtres de la vie sur la fiction, ennemi de la prétention e des artifices, porté par l’intime conviction que « plus on est classique, plus on est moderne ». Son premier film Les Zozos obtient un succès inattendu en 1972, et permet à Pascal Thomas d’inventer sans le savoir le « teen movie » à la française qui connaîtra de nombreux avatars. Ses films suivants, Pleure pas la bouche pleine, Le Chaud Lapin, Confidences pour confidences (son chef-d’œuvre ?), plus tard Les Maris, les femmes, les amants ou Mercredi, folle journée ! sont les meilleurs représentants d’un cinéma que son auteur présente de la manière suivante : « dépeindre les instants heureux, cocasses, inattendus, secrets, du début des amours et de prémisses du désamour, bref dépeindre les moments surprenants et bouleversants où se décident les vies… se déroulant dans une France moqueuse, départementale, et bien sûr, sentimentale. »
Le livre revient longuement sur ce parcours cinématographique atypique, frondeur et fantaisiste. Pascal Thomas est un franc-tireur qui a eu la chance de souvent séduire le grand public. Il croise sur son chemin Claude Berri, Roger Vadim, Maurice Pialat, François Truffaut et bien sûr Jacques Rozier qu’il va héberger quelques années dans son « grand appartement » (cela deviendra un film du même titre en 2006). Pascal Thomas n’a jamais cherché à travailler avec des stars ou des vedettes mais il a confié à Bernard Menez (inoubliable « chaud lapin ») ou Daniel Ceccaldi leurs meilleurs rôles. Il aime les tournages qui ressemblent à des vacances et s’entoure souvent de ses amis ou de ses enfants, devant et derrière la caméra. Parfois son dilettantisme (La Dilettante est l’un de ses plus grands succès, et un de ses films qui lui ressemblent le plus) et son incurable optimiste l’ont conduit à signer des films aussi improbables qu’Un oursin dans la poche ou La Surprise du chef, que je trouve excellent. Pascal Thomas a même l’insolence d’intituler son livre Souvenirs en pagaille alors qu’il considère La Pagaille (1991) comme son film le plus raté. Pascal Thomas a d’abord été journaliste avant d’être cinéaste et a continué d’écrire régulièrement sur le cinéma et la littérature. Le livre se conclut sur un florilège de textes écrits ou prononcés au fil des ans, parmi lesquels les superbes éloges funèbres de Roger Vadim et Maurice Pialat.
Souvenirs en pagaille, 332 pages, édité par Séguier.
Pourriez-vous un peu élaborer sur l’originalité des « mac-mahoniens », qui ils étaient, quel cinéma ils défendaient etc… Merci!
Le Mac Mahon est une salle de cinéma ouverte en 1938. À la Libération, le cinéma se spécialise dans la diffusion des films américains interdits pendant l’Occupation. Dès lors sa réputation est faite.
Dans les années 1950 se forme la bande cinéphile des « mac-mahoniens » avec notamment Michel Mourlet, Michel Fabre, Pierre Rissient, Jacques Serguine, Bertrand Tavernier, Bernard Martinand, Alfred Eibel, Patrick Brion et Jacques Lourcelles, auteur d’un dictionnaire des films qui fait référence et scénariste occasionnel pour Pascal Thomas et Jean-daniel Pollet.
Pour eux, la perfection du cinéma était symbolisée par quatre cinéastes rassemblés dans un « carré d’as » : Raoul Walsh, Otto Preminger, Joseph Losey et Fritz Lang. Michel Mourlet signe le manifeste des mac-mahoniens dans les Cahiers du cinéma en août 1959 avec l’article intitulé « Sur un art ignoré » (qui deviendra plus tard le titre d’un livre qui réunit plusieurs textes). Les mac-mahoniens affirment la primauté de la mise en scène sur le scénario. « Tout est dans la mise en scène », écrit Mourlet dans « Sur un art ignoré ».
Merci!
J’ai le dictionnaire de Lourcelles qui est une mine d’érudition dont les partis-pris sont parfois tout à fait interpellants. Le délire sur Riccardo Freda par exemple ou la détestation d’Orson Wells.
Je lis que Mourlet fixait la morale d’une œuvre au tableau de ses exigences d’analyse – je reformule la citation:
« Puisque l’art existe pour réconcilier l’homme avec le monde, la prise en compte, pour l’estimation d’une œuvre, des valeurs existentielles et morales qui s’y inscrivent est indispensable » Alors, là, je suis d’accord!
Par contre, avec Walsh, j’ai encore du chemin à faire pour le considérer comme un grand cinéaste!
les mac-mahoniens étaient réputés pour leurs avis très tranchés (détestation de Fellini, Antonioni ou Bergman et de la plupart des auteurs à la mode dans les années 50-60) dont on retrouve des traces provocatrices dans le dictionnaire de Lourcelles qui déteste Godard, Rohmer, Resnais, Pasolini etc mais qui écrit de belles pages sur certains Fellini, Bergman (SARABAND dans l’édition mise à jour), Visconti ou même Antonioni (première période).
Je dois dire que c’est la raison essentiel de mon attachement à ce dictionnaire. Outre ses analyses brillantes, toujours fouillées tout en restant concises, ce qui dénote un talent hors norme, il a le mérite de rappeler qu’il n’y rien de sacré. Si le Saint est invitant et chaleureux, le Sacré est impératif et excluant.
A ce titre, je partage quelques une de ses réactions: Rohmer, j’ai essayé l’autre jour le Rayon Vert. J’ai trouvé ça terriblement terne, du niveau d’un roman photo… Vraiment que trouve-ton à ce style sans style et ce regard sans regard? Une Nuit chez Maud est un babillage sans fin – je n’en ai pas vu beaucoup d’autres, j’avoue. Il est vrai aussi que Welles donne à voir, étale à la truelle, sans les trier, ses idées de mises en scènes. Antonioni, c’est mortellement convenu et ennuyeux – Je me souviens avec joie de la tirade de Gassmann dans Il Sorpasso – Risi ne devait pas tenir son confrère en très haute estime, je le devine, même s’il met la réflexion dans la bouche d’un malotru!
Bon, Fellini, pas d’accord, et Bergman non plus!