Olivier Père

Carlo Lizzani, chroniqueur attentif de l’Italie du XXème siècle

 

Les Films du Camélia ressortent en salle mercredi 26 avril trois des titres les plus importants de la carrière de Carlo Lizzani : La Chronique des pauvres amants, Storia di vita e malavita et San Babila : un crime inutile. Ressortent ou plutôt sortent, puisque deux films sur trois, bien qu’ayant été réalisés dans les années 70, étaient demeurés inédits en France, du moins au cinéma – San Babila, un crime inutile avait bénéficié récemment d’une belle édition blu-ray grâce au Chat qui fume.

Cette rétrospective en trois films majeurs permet de revenir sur l’engagement politique et social de Carlo Lizzani tout au long de sa vie et de sa filmographie.

 

 

Carlo Lizzani est né à Rome le 3 avril 1922. Issu d’une famille modeste, son enfance se déroule dans un quartier populaire, non loin de la Piazza Navona. Étudiant passionné de littérature et cinéphile, il contribue par plusieurs articles aux revues Cinema, Bianco e nero, ainsi qu’à l’organe officiel du groupe universitaire fasciste, Roma fascista, sans qu’il approuve l’idéologie mussolinienne. Une fois devenu cinéaste, Lizzani n’abandonne jamais vraiment son activité critique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur le cinéma italien et a consacré en fin de carrière des documentaires à Luchino Visconti, Roberto Rossellini, Cesare Zavattini et Giuseppe De Santis. Durant l’occupation allemande de Rome, de septembre 1943 à juin 1944, survenue après l’armistice, il rejoint la résistance et adhère au Parti communiste italien, auquel il demeure fidèle toute sa vie. Après la guerre, Lizzani découvre en Giuseppe De Santis un père spirituel et part avec lui à Milan, où il participe à l’écriture du Soleil se lève encore (1946), un film sur le thème de la résistance à l’occupant nazi, vue à travers le prisme de la lutte des classes. Lizzani imagine déjà un cinéma choral, héritier du néoréalisme mais doté d’une dimension épique et spectaculaire. Dès ses premiers films, il est en mesure d’appliquer ses théories. Après avoir écrit des scénarios pour Giuseppe De Santis (Chasse tragique, Riz amer) et Roberto Rossellini (Allemagne année zéro) dont il est également l’assistant, Lizzani passe à la mise en scène avec Achtung ! Banditi ! (1951), suivi par Dans les faubourgs de la ville (1953) et La Chronique des pauvres amants (1954) qui connait un vif retentissement international. Mais le film a le malheur de déplaire aux autorités italiennes et le cinéaste marxiste subit les tracasseries de la censure. Sa carrière connait un passage à vide. Il accepte de réaliser des comédies, genre où il ne brille pas vraiment, mais en profite aussi pour entreprendre un documentaire-fleuve sur un pays alors méconnu, la Chine. Le début des années 60 marque son retour en force dans le domaine de la fiction. Lors d’une décennie particulièrement faste, Lizzani respecte un programme très précis : rendre compte de l’Histoire de l’Italie et des contradictions de la société du boom économique à travers ses aspects les plus dérangeants. Le cinéaste s’inspire la plupart du temps de faits réels, pour en extraire une signification morale et politique. Le Bossu de Rome (1960) montre le glissement d’un homme du peuple de la résistance vers le gangstérisme une fois la ville libérée. Traqués par la gestapo (1961) revient sur les rafles qui frappèrent la communauté juive pendant l’occupation allemande. Le Procès de Vérone (1963) s’intéresse à la phase terminale du régime fasciste, en adoptant le point de vue d’Edda Ciano, la fille de Mussolini, interprétée par Silvana Mangano. A l’instar de ses collègues Damiano Damiani ou Giuliano Montaldo, Lizzani n’est pas indifférent au cinéma de genre et alterne films dramatiques et productions plus commerciales, néanmoins porteuses d’une dimension politique. Lizzani signe ainsi deux westerns honorables (Du sang dans la montagne et Tue et fais ta prière) et quatre thrillers d’excellente facture. Lutring… réveille-toi et meurs (1966) dénonce la fabrication d’une figure de hors-la-loi romantique par les médias, tandis que Bandits à Milan (1968), qui lance la mode des « polars à l’italienne », dresse un tableau alarmiste d’une ville en proie à la violence et au crime organisé. En 1974, Lizzani réalise à la fois son unique film américain, produit par Dino De Laurentiis (Jo le fou, sur la nouvelle génération des parrains de la mafia) et la reconstitution historique Les Derniers Jours de Mussolini avec Rod Steiger dans le rôle du Duce. Storie di vita e malavita et San Babila : un crime inutile, qui abordent des sujets sociétaux sensibles dans un style hyperréaliste, comptent parmi ses réussites majeures. Vers la fin des années 1970, au moment où le cinéma italien entre dans une longue période de crise, Carlo Lizzani peine à renouer avec le succès. Il s’oriente vers la télévision et met ses activités de cinéaste en sommeil lorsqu’il devient de 1979 à 1982 le directeur de la Mostra de Venise, à laquelle il insuffle un nouvel élan. En 1995, son film Celluloide (maladroitement rebaptisé Remake, Rome ville ouverte en France) raconte de manière romancée la genèse difficile du chef-d’œuvre de Rossellini. Cinéaste mais aussi écrivain, essayiste, acteur occasionnel, producteur et historien du cinéma, Carlo Lizzani a été l’un des plus remarquables protagonistes de la vie intellectuelle et culturelle de l’Italie, de l’après-guerre jusqu’à son suicide le 5 octobre 2013, à l’âge de 91 ans.

 

Texte extrait du document édité à l’occasion de la rétrospective.

 

 

 

 

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