ARTE diffuse dimanche 17 octobre à 20h55 Phantom Thread (2017), qui scelle les retrouvailles entre Paul Thomas Anderson et Daniel Day-Lewis, dix ans après le déjà génial There Will Be Blood. Phantom Thread est sans nul doute le chef-d’œuvre de son auteur, un film dont l’ambition formelle et narrative transcende la production cinématographique américaine contemporaine et qui s’impose parmi les très grandes réussites de la décennie. Paul Thomas Anderson délaisse pour la première fois son territoire (les Etats-Unis et plus particulièrement sa Californie natale) pour s’intéresser au milieu huppé de la mode dans le Londres des années 50. Reynolds Woodcock est un couturier de renom qui habille les femmes les plus riches et les plus célèbres d’Europe. Il règne sur un petit monde clos où seuls comptent le travail, l’ordre et la perfection. La rencontre inattendue entre Woodcock et Alma, une jeune femme étrangère à la haute société va bouleverser la vie de ce célibataire endurci.
Phantom Thread nous apprend que des messages ou des objets peuvent être dissimulés dans la couture d’un vêtement, comme des talismans ou des souvenirs intimes à l’abri des regards. De la même manière, PTA signe un film sous le sceau du secret et du non-dit, qui avance masqué. Il se déroule dans un univers puritain et corseté, qui réprime les sentiments et les émotions, à l’image du couple étrange et quasi incestueux formé par Woodcock et sa sœur, dont le lien de parenté n’est jamais évoqué dans le film et qui occupe les fonctions de secrétaire, assistante, confidente, protectrice… Woodcock entretient un rapport distant au monde extérieur, obsédé par ses créations et muré dans le silence, génie distant qui vit dans le souvenir d’une morte.
Au-delà de sa sublime direction artistique et de la perfection de sa mise en scène, c’est dans l’étude d’une passion amoureuse et de la vie d’un couple que le film se révèle fascinant. Le film relate une histoire d’emprise d’un Pygmalion tyrannique sur sa jeune maîtresse, mais bouscule rapidement les clichés et brosse le portrait d’une femme déterminée à refuser les statuts de muse, potiche ou pièce de collection. Alma ne se contente pas de refuser le rôle décoratif de l’amante soumise et obéissante. Elle prend le pouvoir sur l’artiste misogyne en lui imposant un rituel de sa propre invention, qui dépasse en folie et en cruauté ses manies de vieux garçon démiurge et qu’il accepte dans une sorte d’abandon amoureux. Cet imprévisible retournement de situation rappelle les « drôles de chemins » et les « règles du jeu » que doivent décider ensemble un homme et une femme pour dépasser les rapports normés du couple et de la conjugalité, surmonter l’ennui ou la violence de la vie domestique. « L’amour est à réinventer » écrivait Rimbaud. Dans Phantom Thread, la souffrance et la résignation deviennent le ciment d’une relation consentie, heureuse et féconde, où la jeune femme retrouve enfin le contrôle de son destin et de ses sentiments. Le pacte mystérieux entre Reynolds et Alma restera sans doute comme l’un des plus puissants de l’histoire du cinéma, riche en histoires de passions torves et perverses.
Les interprétations de Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps et Lesley Manville participent par leur incommensurable qualité à la fascination qu’exerce le film sur le spectateur, placé au premier rang d’une représentation exceptionnelle de l’intériorité.
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