Olivier Père

L’Éventreur de New York de Lucio Fulci

Les amateurs de cinéma bis ont sans doute raison de considérer L’Éventreur de New York (Lo squartatore di New York, 1982) comme le dernier effort consistant de Lucio Fulci dans le domaine de l’horreur. L’Éventreur de New York se situe à la croisée des « gialli » du cinéaste italien – il s’agit d’une enquête policière – et des débordements gore qui caractérisent la glorieuse série de films fantastiques inaugurée avec L’Enfer des zombies. Le tournage à New York invite à une plongée dans les recoins les plus glauques de la ville, sans les effets de stylisation habituels du film criminel transalpin. La violence est brutale, répugnante, presque pornographique. Fulci semble vouloir dépasser sur leurs propre terrain les réalisateurs de « slashers » américains, comme le Maniac de William Lustig avec lequel il entretient plusieurs similitudes. Le réalisme n’est pourtant pas la principale préoccupation de Fulci. Comme dans Le Venin de la peur, il se plaît à mêler dans un récit gigogne des images de différentes natures (mentales, oniriques, fantasmées), qui se confondent parfois aux situations réellement vécues et incitent le spectateur, en même temps que certains des protagonistes, à reconstituer le déroulement des faits, pour y découvrir les clés de l’énigme. L’une des scènes les plus emblématiques de la vision du cinéaste concerne ainsi le cauchemar de Faye, sauvagement agressée dans une salle de cinéma sinistre et déserte, qui combine une élaboration de l’inconscient et une dégradation du corps. Le malaise provoqué par du film n’est pas étranger aux motivations du tueur en série. Sa frénésie meurtrière, qui vise uniquement de jeunes femmes sexuellement actives et provocantes, s’apparente à une croisade punitive. Le tueur sans visage s’attaque avec sadisme à la beauté féminine, et au stupre qui a envahi la métropole américaine au début des années 80. La description dégoûtée d’une cité en proie à la décadence, associée à une représentation de pureté et d’innocence attaqué dans son intégrité physique – la petite fille amputée sur son lit d’hôpital – réaffirme le moralisme chrétien de Fulci, et son profond pessimisme. Après des incursions dans les territoires de l’imaginaire, nimbées d’une poésie macabre, Fulci pose un jugement plus désespéré que jamais sur la société contemporaine. L’Éventreur de New York est le chant du cygne du cinéaste misanthrope, qui n’aura cessé dès la seconde moitié des années 60 (Le Temps du massacre, Perversion Story, Liens d’amour et de sang) de reculer les limites du cinéma populaire, pour en faire surgir une vision terrible de l’humanité.

L’édition en combo Blu-ray et DVD de L’Éventreur de New York proposée par The Ecstasy of Films nous offre également le CD de la colonne musicale d’inspiration disco du film par Francesco De Masi, compositeur stakhanoviste du cinéma bis italien. Parmi les compléments, il faut saluer la présence d’un documentaire consacré à la fameuse 42ème rue, dont une parcelle abrita dans les années 70 et 80 une multitude de salles mal famées reconverties dans le cinéma d’exploitation ou X, avec des témoignages de cinéphiles et de cinéaste (Joe Dante, William Lustig, Frank Henenlotter…) habitués à les fréquenter dans leur jeunesse. Ces salles et leurs devantures agressives apparaissent dans plusieurs films new-yorkais soucieux d’écumer les trottoirs les plus dangereux de la ville, et celui de Fulci ne déroge pas à la règle. C’est donc à une passionnante mise en perspective que ce documentaire nous invite. Inutile de préciser que toutes ces salles « grindhouses » sont désormais fermées, et que le quartier a été nettoyé dans les années 90 de sa faune bigarrée à la recherche d’excitation, de paradis artificiels et de divertissement bon marché.

Catégories : Actualités

2 commentaires

  1. Frédérique H.a dit :

    Bonjour, savez vous quel est le film qui est diffusé dans la salle de cinéma où se réfugie Fay ? nous n’en percevons que la bande sonore et je me demandais s’il s’agissait d’une source réelle ou d’une évocation par Fulci d’un certain type de cinéma, se mêlant à la propre atmosphère de son film.

    • Olivier Père dit :

      Bonjour, vous me posez une colle. Je ne pense pas avoir identifié cet extrait sonore, pas sûr qu’il provienne d’un film existant. Si c’est le cas il est peut-être mentionné dans un gros livre anglais sur Fulci, « Beyond Terror » je vais vérifier.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *