Olivier Père

Un château en enfer de Sydney Pollack

La fin des années 60 n’est pas avare en films hollywoodiens étranges, écartelés entre une débauche de moyens mis à disposition par les studios (stars au générique, production luxueuse) et des ambitions nouvelles qui flirtent avec la modernité européenne, le psychédélisme, voire l’ésotérisme.

Dans le cas d’Un Château en enfer (Castle Keep, 1969), on pourrait parler de réflexion philosophique sur la guerre, un rappel sur la nécessité de préserver l’art et la culture dans la lutte contre la barbarie, si l’on ne veut pas devenir soi-même un barbare, et précipiter sa propre perte. La civilisation est symbolisée par un château médiéval imaginaire, tout droit sorti d’un conte de fées, perdu dans la campagne belge et malencontreusement situé non loin du champ de la bataille des Ardennes, sur le chemin de troupes alliées subissant une contre-offensive de l’armée allemande.

Un groupe de huit G.I.s conduit par le major Falconer (Burt Lancaster) trouvent refuge dans le château. Ils découvrent un lieu hors du temps, qui abrite une inestimable collection de tableaux, riche d’œuvres de la Renaissance italienne comme de l’art moderne. Le major décide de transformer les lieux en place forte pour freiner la progression des Nazis, avec comme conséquence probable la destruction du site et de ses trésors.

Un château en enfer est le troisième long métrage officiel du jeune Sydney Pollack, qui appartient à une génération ayant fait ses gammes à la télévision avant de travailler pour les studios hollywoodiens. Le réalisateur débutant fut adoubé par Burt Lancaster qu’il dirigea dans un western iconoclaste, Les Chasseurs de scalps, puis dans ce film de guerre pas comme les autres. Entre ces deux titres, Pollack termina, sans être crédité au générique, The Swimmer, à la suite de différends artistiques entre Frank Perry, le producteur Sam Spiegel et son acteur principal Burt Lancaster.

Si les films de Pollack devinrent de plus en plus conventionnels au fur et à mesure que sa carrière avançait, ses débuts sont marqués par une forme de baroquisme, avec des histoires qui prennent un point de départ réaliste puis basculent dans le rêve éveillé, la fable ou le fantastique. Difficile d’affirmer quelle est sa part de responsabilité dans l’incroyable trip introspectif et égocentrique que constitue The Swimmer – le film préféré de Lancaster, entièrement à sa gloire – car Pollack n’intervint qu’à l’issue d’un premier montage. Mais il apparaît incontestable qu’Un château en enfer demeure son film le plus étrange, avec la volonté presque constante de tordre la notion de réalisme par des effets visuels qui rapprochent le film d’une expérience onirique. Chaque scène est marquée par le sceau du bizarre, des dialogues jusqu’aux moindres péripéties, et cette étrangeté va crescendo. Après des épisodes burlesques ou tragiques, la conclusion du film sombre dans la pyrotechnie délirante, avec un déluge d’explosions. Pollack s’adjoint les services du compositeur français Michel Legrand, qui signe une musique digne de ses collaborations avec Jacques Demy ou Jean-Paul Rappeneau, et accentue l’aspect conte de fées du film. La superbe photographie d’Henri Decaë regorge de couleurs et d’éclairages surréalistes, qui transforment les jardins du château ou les scènes de bataille en visions picturales. Pour Lancaster, le film proposait une allégorie contre la guerre du Vietnam. Pollack parvient, sans doute au-delà de ses espérances si on en juge plusieurs incidents de tournage et de production, à représenter à l’écran une expérience du chaos. La guerre vue comme un hallucination collective, un spectacle son et lumière sous acide… dix ans avant Apocalypse Now.

Disponible en DVD et en blu-ray, édité par Rimini.

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